Le noir et blanc lui va si bien

Avec « Des trous dans la tête ! », le Canadien Guy Maddin s’inspire du cinéma muet et du feuilleton littéraire pour conter une aventure mêlée de surnaturel et pimentée de transgressions sexuelles.

Christophe Kantcheff  • 25 septembre 2008 abonné·es

Le cinéma de Guy Maddin puise loin ses origines et son inspiration. Loin dans les ressources du cinéma muet. Estimant que les richesses du muet n’ont pas été toutes exploitées, le Canadien Guy Maddin, dans son sixième long-métrage, Des trous dans la tête !, comme dans les précédents, retravaille le grain du noir et blanc et les contrastes, les plans expressifs et stylisés, auxquels il donne un rythme singulier, souvent rapide, voire sautillant. Et, bien entendu, ses films sont sourds (« muet » est un abus de langage, car il s’y parle : c’est ce qu’il s’y dit qu’on ne peut entendre), mais pas sans sons : la musique joue un rôle important dans la suite d’émotions fortes que provoque Des trous dans la tête ! . En outre, Isabella Rossellini en est la récitante inspirée.
Si Des trous dans la tête ! s’inspire du muet, en y instillant toutefois des éléments formels contemporains, il se réfère aussi au genre feuilletonesque (on songe autant à Feuillade qu’à Gaston Leroux). En situant l’action sur une île, où son personnage principal, dénommé Guy Maddin, revient après trente ans d’absence, et où il a connu une enfance peu ordinaire, entre une mère plus qu’abusive, un père apprenti sorcier et une sœur fantasque, le cinéaste reprend les figures du roman d’aventure, mêlé d’un peu de surnaturel, qu’il pimente de transgressions sexuelles. Le tout n’est jamais dénué d’un certain humour, mais reste heureusement étranger à la dérision.

Le film, dans sa presque totalité, est un flash-back sur ces années d’enfance. Parce que, dès qu’il remet les pieds sur son île natale, Guy Maddin l’adulte est accaparé par les fantômes de son passé. On le retrouve donc enfant, vivant dans le phare avec sa sœur, Sis, et ses étranges parents, qui hébergent aussi un groupe d’orphelins, dont on ne sait trop comment ils sont arrivés là. La mère de Guy passe le plus clair de son temps à surveiller les uns et les autres du haut du phare, et à ramener son fils ou sa fille dans le droit chemin par l’intermédiaire d’un appareil bizarroïde, ayant le même usage que le talkie-walkie, mais en forme de pavillon de phonographe et appelé « aérophone », fruit du père inventeur.
Mais les parents de Guy ne semblent pas s’en tenir là quant à leurs activités. Une jeune détective, Wendy Hale, est même dépêchée dans l’île pour enquêter, avant de prendre, pour plus de commodité dans ses recherches, l’identité de son frère jumeau, Chance, lui-même détective… La/le détective a en particulier pour mission de découvrir d’où viennent les petites blessures – des trous dans la tête – dont les enfants sont tous atteints, sans savoir comment, en même temps qu’elle/il vit un amour interdit avec la sœur de Guy.

Le cinéma de Guy Maddin puise décidément loin ses origines et son inspiration. Des trous dans la tête ! arpente ainsi certains territoires les plus reculés de la psyché, pour en sortir des images dont on ne sera pas surpris qu’elles évoquent le surréalisme. Référencé et candide à la fois, archaïque et ultramoderne, Des trous dans la tête ! est produit par The Film Company, un studio indépendant, unique en son genre (ce sont des artistes qui sont soutenus, pas des projets), situé à Seattle. Les États-Unis recèlent aussi d’authentiques merveilles.

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