Le pollueur, c’est toujours l’autre !

Le recours aux taxes vertes reflète en partie l’échec de la prise
de conscience écologique de la majorité des Français : ils approuvent par principe les gestes écolos mais ne s’estiment pas concernés.

Claude-Marie Vadrot  • 25 septembre 2008 abonné·es

Le principe pollueur-payeur, aujourd’hui rebaptisé bonus-malus, a été inventé en France par la loi de 1964 sur l’eau. Il s’agissait, et s’agit toujours, d’inciter les industriels à moins polluer sous peine de verser une redevance proportionnelle au dépassement de la norme de pollution fixée par la loi. Avec le temps, le taux de la taxe a été de moins en moins dissuasif, et cette redevance, entrée dans les mœurs industrielles, s’est progressivement transformée en « droit à polluer ». Ce qui explique sans doute, même si des progrès ont été enregistrés depuis 1964, que les fleuves et rivières de France soient toujours dans un triste état, à en croire les statistiques du ministère de l’Écologie.
Cet exemple ancien incite à se demander si, à propos des taxes écologiques reportées à une date ultérieure par le ministre du Budget, le Premier ministre et le président de la République, il faut s’indigner avec les Verts et les protecteurs de la nature ou se réjouir avec la majorité des parlementaires de l’UMP. En matière d’écologie, les réponses ne sont jamais simples ni évidentes. Même si on ne peut que s’inquiéter de la réaction d’une majorité, qui masque, sous sa réticence envers de nouvelles taxes, son refus de la plupart des décisions du Grenelle de l’environnement, ainsi qu’un anti-écologisme militant soutenu par les groupes de pression liés au Medef.

Illustration - Le pollueur, c’est toujours l’autre !


La taxe sur les couverts jetables incitera-t-elle les pique-niqueurs à des comportements moins polluants ? Bureau/AFP

Première question essentielle : si l’incitation financière se révèle comme le seul levier apte à déclencher des comportements plus écologiques, cela signifie que la prise de conscience du plus grand nombre n’est pas à la hauteur de ce que décrivent les enquêtes et les sondages. Lesquels ne refléteraient en fait qu’une attitude politiquement correcte fort éloignée de la réalité. Le bonus-malus appliqué aux voitures illustre parfaitement l’ambiguïté : les automobilistes, s’ils avaient été vraiment conscients de la situation écologique, auraient pu, sans incitation financière, choisir d’eux-mêmes les véhicules les moins polluants, car la prime offerte n’en représente qu’une bien faible part du prix d’achat. Quand à ceux qui paient volontairement un malus pour une voiture polluante, cette taxe est également négligeable par rapport à son coût d’achat. Pire, cet impôt sur la pollution leur procure l’impression d’appartenir à une autre « classe » de la société, comme la certitude, même dérisoire, qu’ils font partie d’une sorte d’élite. Si l’État devenait écolo, il ferait en sorte, par exemple, en tant qu’actionnaire de Renault, de ne pas laisser cette entreprise délocaliser au loin la fabrication de ses véhicules moins polluants… pour leur faire parcourir ensuite des milliers de kilomètres générateurs d’un gaspillage énergétique annulant largement le gain offert par leur motorisation plus raisonnable.

Au quotidien comme pour les achats importants, le geste écologique reste, pour une majorité de citoyens, celui des « autres ». Et il est évident que le fonctionnement de la société de consommation, tel qu’il reste encouragé par le gouvernement, ne contribue pas à inciter les Français à consommer différemment. La facilité accordée à l’extension du nombre des grandes surfaces, comme l’absence de toute sanction financière à la source, c’est-à-dire sur les profits de la production et de la distribution, ne pousse pas le consommateur à changer de comportement. Ce n’est pas à lui seul, même avec la bénédiction de Jean-Louis Borloo, de « faire un effort » : les fabricants et les distributeurs devraient être contraints de présenter des offres différentes.
La deuxième interrogation consiste à se demander si le bonus-malus ne serait pas un nouvel impôt frappant ceux dont le pouvoir d’achat est déjà sérieusement malmené. Surtout quand on examine quelques-uns des projets pour l’instant suspendus. L’électricité moins chère aux heures creuses, par exemple. D’abord, le ministre de l’Écologie avait oublié que cette différenciation tarifaire existe déjà pour près de la moitié des Français équipés d’un double compteur : celui qui prévoit un tarif réduit de 21 h 30 à 23 h 30, de 2 h à 6 h 30 et de 14 h 30 à 16 h, soit, royalement, 8 heures sur 24. Tarif qui n’a rien à voir avec l’écologie, mais vise à lisser le fonctionnement des centrales nucléaires.
Quant aux réfrigérateurs et autres appareils ménagers, un étiquetage (obligatoire) permet déjà au consommateur de choisir les équipements les moins gourmands en énergie, lesquels ne sont pas obligatoirement les plus chers. Pour ce qui concerne la désormais célèbre « taxe pique-nique », il est vrai qu’elle concerne au premier chef ceux qui n’ont pas les moyens de fréquenter assidûment le restaurant. Mais il faut aussi remarquer que chaque consommateur peut exercer son choix écologique entre, par exemple, l’assiette en carton ou en plastique à jeter et celle, en métal léger, qu’il est possible de réutiliser. Ce qui, à l’usage – et sans taxe – se révèle moins onéreux. Mais, pour cela, il faut renoncer, du téléphone portable au rasoir, à l’idéologie encouragée du jetable.

Écologie
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