Le retour de la Syrie

Le voyage de Sarkozy à Damas est d’abord un succès pour Bachar el-Assad. Pour aller au bout de sa logique, le président français devra, lui, s’attaquer au conflit israélo-palestinien.

Richard Labévière  • 11 septembre 2008 abonné·es

À l’issue du sommet de Damas des 3 et 4 septembre, le président syrien Bachar al-Assad, son ministre des Affaires étrangères, Walid Mouallem, et sa conseillère spéciale, Bouthaïna Chabaan, ne cachaient pas leur satisfaction. « Tout s’est à peu près passé comme prévu, indiquait un diplomate syrien. Dialogue et stabilité constituaient les deux maîtres mots du sommet. Par le dialogue avec le Qatar, la Turquie et la France, le retour de Damas sur la scène internationale est confirmé. Cet acquis garantit provisoirement la stabilité en éloignant de nouvelles velléités de guerre israélo-américaine dans la région et permet de préparer l’avenir de discussions directes avec Washington et Tel-Aviv, lorsque ces deux partenaires auront retrouvé leur stabilité politique. »

En effet, en Orient, la gestion du temps demeure l’une des clefs de la marche des affaires. Au « dialogue » et à la « stabilité » s’ajoute un calendrier très maîtrisé. Après avoir eu l’initiative, en mai dernier, de l’ouverture de négociations « indirectes » avec Tel-Aviv par l’intermédiaire d’Ankara, Damas prépare maintenant le lancement de la phase « directe » en cherchant à casser le format d’une négociation par trop bilatérale qui confinerait la Syrie dans un face-à-face avec la partie israélo-américaine. Depuis le sommet de la Ligue arabe des 29 et 30 mars dernier, et la réunion bilatérale franco-syrienne du 12 juillet, les parrainages du Qatar et de la Turquie sont acquis. Avec la réunion syro-française du 3 septembre, il s’agissait de confirmer la viabilité d’un parrainage français, sinon européen, indispensable aux yeux de Damas afin de « corriger l’ignorance des réalités moyen-orientales dont a fait preuve l’administration américaine finissante », a répété à plusieurs reprises le président syrien, en ajoutant que les progrès réalisés sur le volet syro-israélien étaient symétriques à ceux devant s’exprimer aussi sur le volet palestino-israélien.

Deux enseignements au moins peuvent être tirés des rencontres. La Syrie revient dans le concert des nations en réaffirmant son allégeance à la Russie dans le cadre de l’affaire du Caucase. Quelque deux mille coopérants militaires russes travaillent à la modernisation d’un port en eaux profondes à Tartous, qui pourra accueillir prochainement les sous-marins nucléaires de Moscou. Enfin, la Syrie permet à la France de confirmer son retour au Proche-Orient, sur le mode « je te tiens, tu me tiens par la barbichette ».
En effet, Nicolas Sarkozy est tenu par sa promesse de décembre 2007 de rétablir la relation avec Damas lorsqu’un président libanais serait élu. Il a dû ensuite « vendre » sa démarche à Washington comme étant susceptible de distendre l’axe Damas/Téhéran. D’où l’insistance du président français à brandir l’hypothèse d’une bombe iranienne comme la mère des menaces. « Wait and see », dit-on à Washington en attendant la nouvelle équipe gouvernementale, tandis qu’on s’inquiète à Tel-Aviv et qu’on fulmine à Riyad et au Caire, où la presse s’enflamme contre « la trahison française ».

Face à ces incompréhensions, la volonté de Nicolas Sarkozy, maintes fois réitérée, de vouloir sauver à tout prix le soldat « franco-israélien » Gilad Shalit ne simplifie rien. La gestion du dossier incombe désormais à l’Égypte et seulement à l’Égypte. Là encore, la presse arabe dans son ensemble exprime malaise et incompréhension face à une histoire qui ne ressemble en rien à celle d’Ingrid Betancourt, mais qui concerne « un prisonnier de guerre » soudainement hissé au rang des premières préoccupations de la diplomatie française.
Au-delà de ce cas personnel, c’est la lisibilité même de la diplomatie de Nicolas Sarkozy qui est en cause. En effet, quels que soient les fondements de l’actuel retour de la France au Proche-Orient, des questions se posent. Quels sont ses objectifs et son calendrier ? S’agit-il de renouer avec la diplomatie traditionnelle de la France initiée par le général de Gaulle au lendemain de la guerre de juin 1967 ? « C’est la seule possible », répète l’ancien ministre des Affaires étrangères Hervé de Charette, à savoir celle d’un rééquilibrage entre la sécurité d’Israël et la création d’un État palestinien viable. Nicolas Sarkozy ne pourra pas indéfiniment oublier cette clé d’un « règlement régional global ».

Monde
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