Barreur de gros temps ?

Bernard Langlois  • 23 octobre 2008 abonné·es

En brave garçon que je suis, au fond, j’étais presque décidé à joindre ma voix au chœur de louanges qui s’élève, depuis le choc de la crise, pour saluer l’action du super­président Sarkozy : un homme qui, dans la tourmente, donnait toute sa mesure. Que serait devenue l’Europe sans lui – sans ce hasard, ou ce cadeau de la Providence, qui a attribué la présidence tournante à la France pile poil quand s’écroulaient d’un coup les colonnes du temple financier ?
C’est par gros temps que se révèle le barreur.

Nicolas Sarkozy était, sans conteste, ce marin solide des grandes tempêtes qui sait mobiliser l’équipage et rassurer les passagers.
De l’avoir vu sur le pont 24 heures sur 24, courant d’une voie d’eau à l’autre, écopant ici, colmatant là, serrant les boulons et verrouillant les écoutilles, houspillant les uns, encourageant les autres, faisant la leçon aux puissants et rassurant les petits, convoquant la terre entière et arrachant à des partenaires réticents les décisions sal­vatrices, et jusqu’au saint des saints – le terrain de golf de George Dubbleyou, qui n’en a plus rien à cirer de rien, vu qu’il en a pour peu au jus et que ses parachutes en or à lui et ses retraites Stetson sont garantis jusqu’à la dix-huitième génération au moins – ; de l’avoir vu donc, notre Président, si allant, si efficace, si maître de lui comme de ­l’univers, si décidé, enfin, à nous refaire un monde, peut-être pas en six jours, à coup sûr en six mois : j’étais presque décidé donc, comme Papy Mougeotte (des rédactions du Figaro )
[^2] et la quasi-totalité de la corporation, à lui décerner son brevet (supérieur) d’homme d’État.

Oublié, le président bling-bling. La crise aidant (et peut-être bien l’heureuse influence d’une épouse aux vertus sédatives), l’agité du bocal s’était mué en un homme responsable, réfléchi, compétent.

SIFFLETS

Mais change-t-on à son âge, cinquantaine passée ?
Vint l’autre crise, celle du fouteballe. Vous savez ? Ces sifflets qui viennent nous cochonner notre hymne national, que de la gauche à la droite on n’eut pas assez de grands mots pour fustiger les affreux qui osèrent les lancer. Que fait notre grand chef à plumes ? Il convoque au Château, et dès potron-minet, le ban et l’arrière-ban des ministres et sous-ministres concernés, et jusqu’au banc de touche des gros pardessus de la Fédération. Profère des menaces. Exige des sanctions. Suggère des solutions et exprime des désirs qui sont des ordres. Comme pour la crise financière, alors ? Tous sur le pont, à ma botte et que ça saute ? Tout pareil. C’est alors que je me suis dit qu’un chef qui confond tout, qui met sur le même plan l’essentiel et l’accessoire, qui s’agite autant pour un séisme remettant en cause ­l’équilibre mondial que pour un incident périsportif mineur, du reste récurrent (et qu’il serait si facile d’éviter : ne point laisser mijoter l’honneur national et sa « Marseillaise » dans la tambouille frelatée du sport professionnel, et en finir avec l’exécution préalable des hymnes patriotiques [[
Ce qui aurait en outre l’avantage d’éviter à un commentateur politique dominical d’ Europe 1 de proférer des âneries (qui sont aussi des insultes) : laisser croire que les paroles de l’hymne allemand situent encore l’Allemagne « au-dessus de tout », comme à l’époque nazie. Chacun sait ou devrait savoir que, sur des airs de part et d’autre inchangés, si les Français ont conservé « qu’un sang impur abreuve nos sillons », nos voisins allemands ont supprimé, défaite oblige, leur « Deutschland über alles »…]] ; remplaçons « la Marseillaise » par « Nini peau d’chien », s’il faut absolument un prélude musical aux ren­contres sportives !), que ce chef-là, décidément, n’était pas vraiment sérieux, que rien ne viendrait jamais calmer sa boulimie, ses frustrations, son activisme pathologique et ce besoin de tout concentrer dans sa main d’enfant gâté. Nicolas l’agité for ever.

Le brave garçon que je suis, finalement, attendra encore avant de célébrer les vertus de notre petit César.

ÉCHANGE

Sur la crise, plus sérieusement, cet échange (musclé) sur la Toile entre deux partisans du « non » au traité constitutionnel.
Le premier (Gérard Filoche) rappelle les responsabilités de Sarkozy dans la crise en France : « Mais, c’est Sarkozy le “responsable” en chef ! Ce qui arrive avec ce gaspi de milliards d’euros à la Caisse d’épargne après tant d’autres (EADS, Société générale, Daxia…), c’est le monde de Sarkozy ! Personne ne peut croire à cet affichage, à ces rodomontades, à cette agitation qui cherche à faire oublier ­l’idéologie, l’orientation politique ultralibérale poursuivie depuis des années par l’UMP et Sarkozy : c’est SON monde qui s’écroule, qui fait faillite, inutile de faire mine de s’en ­prendre aux copains ! » Et le second (Raoul Marc Jennar) lui rétorque : « C’est un peu court, cher Gérard… » , et d’énumérer toutes les décisions et dérives libérales des socialistes, depuis « la loi de déréglementation financière » du gouvernement Fabius jusqu’au soutien au TCE et « son copié-collé du traité de Lisbonne, où est prohibée toute restriction aux mouvements de capitaux », en passant par Maastricht, la directive Bolkenstein, les accords de Barcelone et autres joyeusetés. Et il conclut : « Ce que tu appelles “le monde de Sarkozy”, cher Gérard, c’est aussi celui de Pascal Lamy et de Dominique Strauss-Kahn. C’est aussi celui de celles et ceux au PS qui portent la responsabilité d’avoir soutenu toutes les politiques néolibérales dont nous souffrons depuis 1983. Et qui, avant de gauchir leurs discours depuis quelques jours, proclamaient haut et fort leur adhésion à la “modernité” du libéralisme économique et de l’économie de marché il y a quelques semaines. Le PS ne redeviendra pas vierge aux yeux des millions de femmes et d’hommes qu’il a trompés et trahis en mettant tous les malheurs du monde sur le seul dos de Sarkozy. Qu’il commence par ­battre sa coulpe. Qu’il reconnaisse publiquement ses erreurs. Il y a un devoir d’inventaire incontournable avant de passer à autre chose. Si tant est que le PS soit en mesure de redevenir socialiste. »

Rappelons que ces deux-là sont, sur le fond, à peu près d’accord sur tout. Mais le premier, ancien trotskiste (LCR) passé au PS, et soutien de la motion de gauche (Hamon) pour le congrès de Reims, pense que seul le parti solférinien a la taille critique utile pour peser ; et le second, militant altermondialiste, soutien de la candidature Bové, se range aujourd’hui derrière Besancenot (LCR) dans son entreprise de construction d’un nouveau parti (NPA). Pas simple, la gauche française [^3] !

INCIDENT

Au fait, puisqu’on évoque Dominique Strauss-Kahn : il nous assure, dans un communiqué, qu’il n’est pas le père du bébé de Rachida Dati.
Pardon, je mélange tout ! Lui, c’est rien qu’un « incident » dans sa vie conjugale qui risque de le faire choir, c’est-y-bête ­d’être un incorrigible coureur de jupons ! On ­l’avait pourtant prévenu [^4] ! Mais notre grand homme à Washington a une épouse indulgente : « Cette aventure d’un soir est ­désormais derrière nous, affirme Anne Sinclair sur son blog, nous avons tourné la page. Puis-je ajouter, pour conclure, que nous nous aimons comme au premier jour ? »
Allons, c’est bien là l’essentiel, non ?

SIXTIES

Quittons pour l’heure cette époque compliquée pour un court séjour dans le passé. Ces années 1960 « mythologiques » , selon le qualificatif que leur ont donné les auteurs du documentaire, Alain Moreau et Patrick Cabouat [^5]. Un film tissé de bout en bout d’archives de l’époque, qui commence en noir et blanc et se termine en couleur.
Les « sixties », comme on dit aujourd’hui (et comme ne disent pas les auteurs, qui ne causent pas le franglais…), sont chères à ceux qui les ont vécues : normal, notre jeunesse ! Ce sera régal de les revoir (pour moi, c’est fait). Pour les autres, les jeunots, ne manquez pas de les découvrir. Oui, je sais, on vous a bassiné toute l’année avec Mai 68. Le film en parle, bien sûr, vers la fin ; mais c’est tout le reste qui devrait vous intéresser : la fin de la France rurale, de « la paix des clochers », de cette civilisation paysanne qu’on pensait immuable. Les auteurs ­montrent bien comment le pays, engagé depuis la fin de la guerre dans les « Trente Glorieuses » , va connaître la mue la plus rapide de son histoire sous la férule altière d’un général glorieux qui entendait « gouverner à l’imparfait du subjonctif » . Baby-boom et apparition, dans la frénésie des yé-yé ( Salut les copains ! ), d’une classe sociale nouvelle : l’adolescence, « montée en graine corollée au taux de croissance » . C’est le temps de la bagnole, des appareils ménagers qui ­ « li­bèrent la femme » , des salles de bains pour tous (ou presque…), des villes construites à la campagne (que « les architectes n’habitent pas » , mais quoi : fallait bien faire face à l’exode rural) ; c’est encore Camus qui se fracasse sur la route, Sagan, « le charmant petit monstre » , Bardot, pure merveille de la nature enveloppée dans le drapeau ou débitant des gros mots devant la caméra de Godard. Bardot, femme emblème, dans un monde féminin encore loin de maîtriser sa fécondité ( « Pour éloigner votre mari, négligez-vous ! » , conseille la sage-femme !) et tout simplement sa vie. Ce sont les grandes années d’une télé encore balbutiante, à plat unique, où l’info était étroitement contrôlée par le pouvoir, mais où les programmes, pas encore soumis à la publicité et à l’audimat, respectaient le téléspectateur… C’est encore la bombe, et les derniers feux de la guerre d’Algérie ; mais on ne connaissait ni le chômage ni le sida…
Ajoutons que le jeu politique était sans doute plus simple qu’aujourd’hui, avec une droite et un centre dominés par de Gaulle et les siens, et une gauche rassemblée, en 1965, bon gré mal gré, derrière un Mitterrand qui avait choisi d’y faire sa niche. Les banquiers étaient certes déjà âpres au gain, on commençait à baigner dans l’univers des « Choses » (mais les premiers hippies pointaient le poil, et couvait la révolte de Mai), mais on ne connaissait pas encore les produits dérivés, hedge funds et autres petites merveilles.

Savez quoi ? Le CDS était le sigle d’un petit parti centriste, pas encore celui des Credit Default Swaps .

[^2]: Qui célèbre « La victoire de l’Europe » ( Le Figaro du 20 octobre) à Camp David, où il a vu triompher « la volonté sarkozienne de refonder le capitalisme du XXIe siècle, par la définition d’une nouvelle éthique, l’abandon de pratiques destructrices, l’adoption de nouvelles règles et la restauration de la responsabilité » – n’en jetez plus !

[^3]: D’autant moins que Bové a, de son côté, rejoint l’alliance des écologistes (Cohn-Bendit, Waechter, Verts) savamment concoctée par notre ami Besset, devenu le bras droit de Nicolas Hulot… Vertiges !

[^4]: Notamment, et de façon quasi prémonitoire, notre confrère Jean Quatremer, de Libé, sur son blog, quand DSK n’était encore que postulant au FMI : « À la différence de ce qui se passe en France, aux États-Unis, le moindre “comportement inapproprié” peut coûter son poste au titulaire d’un mandat public. Les Américains ne plaisantent pas avec ce genre de chose même si cela nous fait ricaner. Pour bien connaître DSK, je sais qu’il est en séduction permanente, même s’il n’a jamais eu de gestes déplacés. Et que cela choque et a choqué, surtout hors des frontières hexagonales. Tous les journalistes qui ont couvert ses activités publiques le savent, et les anecdotes sont nombreuses. Mais être « pressant » n’est pas un délit pénal, que cela soit clair. En revanche, aux États-Unis, c’est tout comme. C’est tout ce que je voulais dire : une fois à la tête du FMI, il faudra que DSK ravale son côté “French Lover” lourdingue. » (Voir, par exemple, le site Bakchich ou directement celui de Quatremer, sur Libération.fr).

[^5]: Durée : 71 minutes. Programmé sur France 2 le vendredi 31 octobre.

Edito Bernard Langlois
Temps de lecture : 11 minutes