Boutique à musique

Pour faire face à une crise du disque qui contamine la production de concerts, dix tourneurs mutualisent leurs moyens. Tous les mois au Glaz’art, à Paris, ils font découvrir des artistes encore peu connus.

Éric Tandy  • 30 octobre 2008 abonné·es

Une simple promenade dans les allées de magasins le confirme : les CD, dont les ventes chutent de façon vertigineuse, se font de plus en plus rares dans les bacs. Heureusement, comme tentent de l’expliquer régulièrement la plupart des médias, les chanteurs et les musiciens s’en sortiraient encore assez bien grâce à la scène, qui attirerait un public toujours plus ­nombreux. En réalité, ce leitmotiv très simplifié est à prendre avec de vraies réserves. En effet, si l’on se réfère aux chiffres fournis par le Centre national des variétés, le nombre ­d’événements musicaux a effectivement été en hausse en France en 2007 (on compte environ 35 000 concerts de « musique vivante » sur l’ensemble du territoire), mais la fréquentation a subi une baisse assez sensible (- 7 % par rapport à 2006).

Illustration - Boutique à musique


Les CD, dont les ventes sont en chute libre, se font de plus en plus rares dans les bacs. Daniau/AFP

Une autre observation va également à l’encontre de l’idée trop souvent colportée qu’il est aujourd’hui plutôt facile pour un jeune artiste de percer grâce aux tournées : le peu d’espace laissé sur l’ensemble du territoire aux styles musicaux dits marginaux. Les musiques du monde, par ­exemple, n’ont représenté en 2007 que 6,21 % de la programmation des scènes musicales ­nationales. Preuve que les démarches hors grand public ne trouvent pas facilement de lieux où se faire entendre.
Contrairement à ce qu’on croit, donc, les concerts, les tournées et les festivals (même si nombre d’entre eux ont été des succès cet été) ne compensent pas la lente extinction du disque. Une réalité confirmée par Christian Bourgaut, qui organise les tournées de musiciens comme les Wriggles, Souad Massi ou Manu Dibango : « C’est une évidence, quand le disque s’effondre, le spectacle vivant ne va pas bien, et c’est d’abord au niveau des jeunes découvertes que les conséquences se font sentir. Le désengagement de plus en plus marqué des collectivités locales dans la production de spectacles musicaux, mais surtout le fait que, faute de moyens, la plupart des labels discographiques n’investissent plus sur les concerts, pénalise d’abord les débutants. »

C’est dans la logique : sans affiches payées par des maisons de disques, et sans leur participation aux frais de concerts, les tournées d’inconnus, ou de quasi-inconnus, ne sont jamais viables et intéressent rarement les programmateurs des salles, qui engagent plus facilement des artistes ayant déjà bénéficié d’un minimum de promotion. Les spectateurs, souvent soumis à une offre assez large, préfèrent eux aussi aller écouter des « noms », même petits, déjà aperçus dans la presse ou entendus sur des radios.

Essayer de faire démarrer de nouvelles carrières dans un environnement devenu si difficile, c’est justement l’un des objectifs que se sont fixés dix producteurs de spectacle, réunis sous l’appellation « Live-Boutique.com ». Á l’origine simple site Internet informatif communautaire, où les affiliés présentaient l’actualité des artistes dont ils s’occupaient (plus de 200), l’aventure prend aujourd’hui un autre élan avec l’organisation à dates régulières de soirées (tous les mois au Glaz’art, à Paris) mettant en vedette de nouveaux venus dans le monde musical. Ceux que Christian Bourgaut, l’un des initiateurs de la Boutique, nomme des « coups de cœur » : « Cela fait partie du cahier des charges du projet. En tant que promoteurs de concerts, nous ne nous définissons pas uniquement comme des gestionnaires de carrières établies, nous voulons aussi aider à la découverte de nouveaux artistes. Nous savons que c’est ­désormais aux producteurs de spectacles de travailler dans ce sens. Un travail que la plupart des labels de disques ne peuvent plus assumer. »
Les buts de l’opération sont évidents : « Avec ces concerts au Glaz’art, nous voulons attirer les médias et les spectateurs sur ce qui se passe de neuf aujourd’hui, et, du coup, tenter de renouveler notre métier. » Cette envie n’est donc pas uniquement liée aux lois du business, puisque les animateurs de Live-Boutique parlent de futur de la création musicale et de mutualisation face à une situation devenue difficile : « En dehors du fait que beaucoup d’entre nous peuvent se définir comme d’anciens gauchistes admirateurs de certaines idées collectivistes, notre regroupement est aussi une histoire d’intérêts communs. Mais nous ­faisons cela avec un vrai souci d’éthique. »
À l’heure où des entreprises tentacu­laires, comme l’Américaine « Live Nation » (qui manage, entre autres, U2 et Madonna), rachètent des salles de concerts un peu partout dans le monde pour y programmer des événements immédiatement ­rentables, l’initiative des dix de Live-Boutique doit être suivie de près. Car peu de responsables ou d’acteurs du monde de la production musicale influents se soucient réellement de l’avenir des musiques dites vivantes.

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