Désenchanté

Dans « le Petit Voyeur », Sonallah Ibrahim fait la chronique de son enfance au Caire.

Christophe Kantcheff  • 2 octobre 2008 abonné·es

L’enchantement n’est pas à proprement parler le ton des livres de Sonallah Ibrahim. Ni sa façon de voir le monde. Hormis la révolutionnaire Warda, de son roman éponyme [^2], ses personnages sont des antihéros. Mais on aurait pu croire que, revenant pour la première fois sur son enfance, et à près de 70 ans, l’écrivain égyptien ait adouci le trait, cherché à retrouver les sensations d’émerveillement des « premières fois ».
En aucun cas. Le Petit Voyeur a beau avoir pour personnage principal un petit garçon de 10 ans, et emprunter beaucoup, de l’aveu même de l’auteur, à l’enfant qu’il fut, ce livre est strictement dénué de tout pathos. Écrit dans une langue économe sur le mode du sujet-verbe-complément, il n’en est pas moins un roman extrêmement visuel, donnant à voir, avec une précision incroyable, Le Caire de la fin des années 1940, dans le milieu désargenté de la très petite bourgeoisie. Mais tout se passe comme si Sonallah Ibrahim avait fait fonctionner à plein sa mémoire pour saturer de détails son récit, afin de mieux évacuer tout risque d’émotion facile, ou d’apitoiement sur lui-même.

Car l’enfance qu’il décrit est tout sauf merveilleuse. Élevé par un vieux père sans aucune fantaisie, qui lui assure le matériel mais néglige la tendresse, habitant un petit appartement rongé par les punaises et les cafards, le garçon est traversé par des souvenirs heureux du temps où sa mère était encore avec eux. Aucune nostalgie explicite, mais des flashs qui s’insèrent en italiques dans le texte, sans commentaire. Le plus clair de son temps, il tente de découvrir, les yeux grands ouverts, en furetant dans une armoire, ou dans la maison de son oncle, ou en écoutant les histoires salaces que les hommes se racontent entre eux, le monde des adultes qui semble s’offrir à lui. Pas si simple. C’est que la misère sexuelle, l’amertume et le sentiment de déclassement, à cette époque où la monarchie est déliquescente, l’emportent. Toutes choses opaques pour un garçon de 10 ans. Le Petit Voyeur est décidément un trésor de désenchantement.

[^2]: Traduction française en 2002 chez le même éditeur.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes