« Le vrai marqueur sera la question raciale »

John Nichols, responsable du bureau de Washington au magazine de gauche « The Nation », revient sur
les enjeux
de l’élection
et brosse le portrait politique de Barack Obama.

Xavier Frison  • 30 octobre 2008 abonné·es

Comment qualifieriez-vous Barack Obama ?

John Nichols : On peut dire que Barack Obama est plutôt progressiste. Je connais l’homme politique depuis de nombreuses années. La première fois que je l’ai côtoyé sur une scène politique, c’était en 1996. Nous parlions alors tous deux d’un nouveau parti qui associerait la politique traditionnelle à l’activisme citoyen. Et Obama était un des premiers élus de ce pays à croire à cette idée. Historiquement aussi, son activité politique est à gauche. En 2002, par exemple, on l’a vu participer à une manifestation antiguerre en Irak. Il connaît le langage de la gauche, il en connaît les théoriciens et les auteurs. Je ne crois pas qu’il manque de sincérité ni de connaissances de ce qu’est la gauche. Cependant, il est un politicien, et, souvent, quand un politicien de gauche commence à faire des compromis pour gagner des élections, il se positionne plus au centre que les centristes.

Qu’est-ce qui fait de sa candidature un fait politique majeur aux États-Unis ?

C’est un moment-clé pour la gauche, car la candidature d’Obama est unique. C’est quelqu’un qui a été désigné par le Parti démocrate vraiment grâce à la gauche. Sans le soutien des antiguerre ou des défenseurs des droits civiques, il n’aurait pas été choisi. Maintenant, il y a un danger de penser que la victoire est définitivement acquise. Il y a eu une longue et folle campagne, et rien n’est joué. D’autant ­qu’Obama semble un peu sibyllin sur certaines questions, comme l’engagement américain dans la guerre en général, la politique économique ou les réformes de l’appareil politique. Les actions ­concrètes de son éventuelle administration sur ces points pourraient être décevantes pour les militants de gauche. Cela étant dit, il y aura des gens qui voteront pour McKinney, d’autres pour Nader, deux personnalités impressionnantes et de grande qualité, mais, à la fin des fins, la grande majorité de la gauche votera pour Obama.

Avec les catastrophiques années Bush et un candidat républicain, John McCain, qui marche dans ses pas, comment ne pas croire que l’élection n’est pas gagnée d’avance ?

Cela sera une élection extrêmement difficile. Obama pourrait bien perdre. Même si les Républicains sont largement discrédités à cause de Bush et de la politique étrangère et économique du Congrès. Et même si les Américains sont désormais prêts à des changements fondamentaux. Car le vrai marqueur, ce ne sera pas les Démocrates contre les Républicains, mais bien la question raciale. La race reste la grande tragédie de la société américaine. On a voulu nous faire croire que nous étions devenus égaux, et au final ce n’est pas vrai. C’est une question qui a provoqué une guerre civile chez nous, des morts par centaines de milliers, des actes horribles de ségrégation, et nous ne l’avons toujours pas résolue. C’est un point essentiel de cette campagne. Partout où je vais aux États-Unis, à travers tout le pays, les supporters d’Obama me disent : « Je suis inquiet. Quand je parle d’Obama à mes voisins, j’entends des choses que je n’aime pas. » En 1906, à la première convention démocrate qui s’était déjà tenue à Denver, le Parti démocrate avait refusé le soutien des Noirs, en pensant que cela lui ferait du tort. Un siècle plus tard, dans la même ville, le même parti va présenter un Afro-Américain à l’élection suprême. C’est un progrès incroyable ! Mais maintenant la question devient : ce progrès à l’échelle d’un parti est-il transposable à ­l’échelle du pays ? C’est une élection incroyablement importante et historique.

Quel est votre pronostic pour l’élection du
4 novembre ?

Il y a deux raisons pour lesquelles je pense qu’Obama va l’emporter. La première, c’est George Bush. Il a volé les élections en 2000, pour le résultat que l’on sait. Les gens – qui sont désormais bien informés de son bilan désastreux – se disent : « On ne peut pas revivre ça. » La deuxième ­raison, c’est ­qu’Obama sera le premier Afro-Américain à se présenter. Il incarne, il « est » même, cette gauche qui se bat depuis l’ère de la traite négrière contre l’esclavage puis la ségrégation raciale, pour la discrimination positive ou l’égalité hommes-femmes.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

En Serbie, le régime Vučić tremble
Luttes 5 septembre 2025 abonné·es

En Serbie, le régime Vučić tremble

Cela fait maintenant dix mois que la Serbie se révolte sans relâche contre la dérive autoritaire et corrompue d’Aleksandar Vučić. Alors que son pouvoir vacille et qu’il paraît de plus en plus isolé, le président fait feu de tout bois pour dompter la contestation.
Par Simon Rico
À Taïwan, les femmes écrivent l’histoire
Monde 3 septembre 2025 abonné·es

À Taïwan, les femmes écrivent l’histoire

Un mouvement politique taïwanais a appelé à destituer des élus considérés comme trop proches de la Chine. Une mobilisation majoritairement féminine, avec des volontaires s’engageant parfois politiquement pour la première fois.
Par Aurélie Loek
Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil
Monde 2 septembre 2025

Procès de Bolsonaro : au-delà d’un test démocratique pour le Brésil

L’ancien président d’extrême droite entre en jugement ce mardi 2 septembre, accusé de tentative de coup d’État en 2023. Un enjeu crucial pour les institutions du pays, alors que Trump pourrait alourdir les sanctions qu’il a prises contre le Brésil, accusé de mener une « chasse aux sorcières ».
Par Patrick Piro
Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »
Entretien 27 août 2025 abonné·es

Insaf Rezagui : « La France pourrait être poursuivie pour complicité si elle continue de soutenir Israël »

Alors que l’Assemblée générale de l’ONU se réunit en septembre et que le génocide perpétré par Israël à Gaza se poursuit, la docteure en droit international public Inzaf Rezagui rappelle la faiblesse des décisions juridiques des instances internationales, faute de mécanisme contraignant et en l’absence de volonté politique.
Par Pauline Migevant