« On a la tête sur le billot »

L’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, tout comme d’autres structures, fait les frais du désengagement de l’État. Les syndicats du secteur lancent une journée d’action pour alerter l’opinion.

Manon Loubet  • 30 octobre 2008 abonné·es

« Le ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports, dont nous faisons partie, nous a annoncé cet été que nous devions diviser notre masse salariale par deux d’ici à 2010, s’inquiète Annie Oberti, chargé d’études et de formation à l’Institut national de la jeunesse et de ­l’éducation populaire (Injep). C’est la mort de l’Injep programmée. » Situé dans le parc de Val-Flory, à Marly-le-Roi, l’Injep est un établissement public, lieu symbolique de ­l’éducation populaire. Cet organe national s’emploie à coordonner ses différents acteurs, parfois disparates. Ses missions vont de la recherche à la formation, en passant par l’hébergement des professionnels du secteur jeunesse (élus locaux, cadres associatifs, animateurs…). L’institut accueille des structures comme l’Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev), qui propose des projets d’accompagnement éducatif pour des jeunes en difficulté scolaire ou sociale. « L’Injep a été pour nous d’un soutien très précieux. Il nous a aidés à développer nos structures, à former nos salariés et à alimenter notre réflexion », témoigne Chris­tophe Paris, le directeur de l’Afev.

Illustration - « On a la tête sur le billot »


Une réunion d’une association d’éducation populaire dans les locaux de l’Injep.
DR

Nicolas Sarkozy et son gouvernement mènent une politique de casse du service public, et les révisions générales des politiques publiques (RGPP) annoncées en août font déjà des dégâts. Que l’Injep soit la première touchée n’est pas un hasard. Cette institution dérange. « Le terme “éducation populaire” en lui-même gêne, il est trop militant » , remarque Denis Adam, représentant du Syndicat de l’éducation populaire de l’Union nationale des syndicats autonomes (SEP Unsa). Elle est également l’une des rares institutions publiques émancipées politiquement. « C’est un modèle d’autonomie dont l’État ne veut plus » . Pourtant, en juillet dernier, Nicolas Sarkozy avait déclaré croire en l’éducation populaire à l’occasion d’une table ronde organisée par la Ligue de l’enseignement, sur le thème des « vacances pour tous », à Batz-sur-Mer : « La France a besoin de l’éducation populaire, et on la soutiendra de façon totale » , avait-il affirmé. Encore une promesse que le Président ne respecte pas puisque, un mois plus tard, l’Injep recevait une lettre du Premier ministre l’informant des futures restrictions budgétaires.
Le gouvernement prévoit la suppression d’un poste sur deux, soit le départ d’une quarantaine de personnes avant la fin 2010. « On ne sait rien du nouveau projet. On nous dit qu’il va y avoir un effectif réduit, une réduction du budget, un changement de locaux… Mais on ne sait même pas, déjà, si l’Injep va encore exister en tant que telle. Tout est très opaque » , déplore Chantal de Linares, chercheuse à l’Injep et membre des Syndicats généraux de l’Éducation nationale de la Confédération française démocratique du travail (Sgen CFDT). Les structures de l’éducation populaire vont être bouleversées par la disparition de ce lieu phare. Et elles vont l’être d’autant plus que l’État se désengage de tous les acteurs de l’éducation populaire. « Nos subventions publiques vont être sucrées, nous ne savons pas comment nous allons survivre… » , s’inquiète Christophe Paris.
Aujourd’hui, près de 200 associations en France sont agréées Jeunesse et Éducation populaire, et sont subventionnées par ­l’État. « Nous avons la tête sur le billot » , s’alarme François Deroo, directeur national des Petits Débrouillards, une association qui démocratise auprès des jeunes les sciences et les techniques. Seules les grandes fédérations comme la Ligue de l’enseignement ou la Fédération Léo-Lagrange pourront sur­vivre. « Nous allons être moins touchés car nous ne bénéficions plus des subventions publiques. Mais nous sommes conscients que les petites associations qui ne fonctionnent qu’avec des subventions sont en grand danger, et nous sommes à leurs côtés » , assure Yann Lasnier, secrétaire général adjoint de la Fédération Léo-Lagrange.

Les protagonistes de l’éducation populaire ont décidé de réagir. Les trois principaux syndicats du secteur, le SEP Unsa, le Sgen CFDT, et l’EPA FSU (Éducation pluralisme autogestion de la Fédération syndicale unitaire), appellent à une journée de débat le 20 novembre, dans une salle de la Bourse du travail, à Paris. Elle regroupera les syndicats mais aussi des personnes de terrain et des chercheurs de l’éducation populaire, comme Philippe Meirieu. « Nous allons établir une brochure afin d’expliquer pourquoi l’État a une vraie mission à jouer pour soutenir l’éducation populaire » , précise Denis Adam.

Temps de lecture : 4 minutes