Quand la contagion gagne…

Comment se comporter en cas d’épidémie ? À la Cité des sciences à Paris, l’éducation à la santé passe par un jeu virtuel géant.

Ingrid Merckx  • 30 octobre 2008 abonné·es

Sida, sras, ébola, grippe aviaire, dengue, chikungunya, peste, tuberculose… On n’aurait pas cru que ces épidémies pourraient prêter matière à jeu. Et pourtant… À la Cité des sciences, Epidemik , l’expo « contagieuse » propose aux visiteurs de devenir les acteurs virtuels d’une crise épidémique simulée. Le but de ce jeu éducatif géant est de diffuser des informations sur les réflexes à avoir. Mais sur un mode ambigu : « Laissez-vous gagner par la contagion. » Provocation, effet de com’ ou bonne idée ?
Dans une atmosphère très Star Wars, l’exposition accueille en prévenant : le temps de la « guerre aux ­microbes » n’est plus, voici venu celui de la « cohabitation » , assortie d’une conception « plus écologique de l’interdépendance » entre l’être humain et ces ennemis minuscules, mais non moins dangereux. Le pourquoi et le comment de la rupture des équili-bres qui fait exploser le bouclier de la diversité et basculer dans la « confrontation » avec les microbes sont présentés sur un premier plateau. Récits et témoignages en images des grands fléaux, depuis la « révolution » néolithique jusqu’à nos temps de mondialisation des échanges et des maladies. L’heure est à l’urgence d’une réaction internationale… Message politique ou échauffement nécessaire ?

Illustration - Quand la contagion gagne…


À Hong-Kong, en 2003, la population se protège du sras.
Parks/AFP

Deuxième étage, place au « jeu contagieux » . Le visiteur foule un sol sombre que longe un écran mural. Un logiciel au plafond met en œuvre un procédé de reconnaissance des formes. Le jeu se joue donc debout, dans des cercles de lumière qui suivent les déplacements du corps. Des voix invitent à se positionner dans un cercle. Son « aura » au pied, chacun s’avance et se soumet au tirage au sort qui sépare les « décideurs » , envoyés en « cellule de crise » , des « citoyens », devant échapper aux bacilles. Un compte à rebours annonce un début d’épidémie dans les 15 secondes… On se croirait dans la série ­ 24 heures chrono (où un héros insubmersible sauve les États-Unis en un temps record).
L’une des phases de jeu transpose à Manhattan en 2015, quand l’île subit une attaque de peste pulmonaire. Après un bref rappel sur le visage de la maladie, les citoyens doivent se fournir rapidement en dollars, eau et nourriture et se soumettre aux contrôles de police sous peine de sanction. Il leur faudra aussi, après identification des « sains » , des « contaminés » et des « malades » , savoir saisir masques ou antibiotiques. Et juger, in fine, si la décision des autorités d’isoler Manhattan est justifiée…

Ce jeu a le mérite de ne pas miser sur la peur mais sur la rapidité de compréhension des gestes à adopter : se laver les mains, voir un médecin, éviter les contacts, décider d’une quarantaine, etc. La technique est innovante, et les scénarios terriblement ancrés dans le réel. À tel point qu’on se demande pourquoi le jeu ne va pas plus loin dans l’implication géopolitique, environnementale, éthique et sociale : pourquoi ne pas visualiser, par exemple, la stigmatisation de ­groupes à risques qu’engendre une épidémie, et dont il est judicieusement question sur le premier plateau ? D’autant que si la peste à New York en 2015 profite d’un effet de distanciation « rassurant », que dire des scénarios consacrés à la propagation du paludisme à Bamako et du sida à Paris, Moscou et Rio en 2008-2009 ? Et de l’effet « comme si on y était » ?

Les deux commissaires scientifiques de l’exposition, Antoine Flahault, épidémiologiste, et Patrick Zylberman, historien de la médecine, ont choisi le biais de l’ambiguïté et du jeu pour favoriser « une prise de conscience » en vue d’un meilleur contrôle du risque épidémique. Toute illusion est balayée : l’éradication des épidémies n’est plus qu’un vague souvenir, seul reste l’espoir de modifier le comportement humain face à l’environnement. Encore faut-il trouver comment. « Le monde virtuel prétend transcender la réalité mais néanmoins garde un lien de fascination avec elle […]. Cette seconde vie, “citoyens” et “décideurs” la risquent, la défendent et la protègent en jouant sur le plateau de l’exposition avec ce qui n’est au départ qu’un modèle de crise épidémique abstrait et théorique » , expliquent-ils dans Des épidémies et des hommes, un ouvrage richement illustré qui tient lieu de catalogue d’exposition et la dépasse.
Insistant sur la « fin de l’optimisme » , les auteurs rappellent que le monde s’est rétréci, qu’on ne sait plus contenir géographiquement les épidémies, que les parasites et les agents infectieux résistent aux thérapeutiques, que l’heure est à la surconsommation médicale et vétérinaire, aux énormes courants migratoires, à l’urbanisation galopante… En 1995, le directeur du Centre de contrôle et de prévention des ­maladies d’Atlanta a déclaré : « L’histoire des maladies infectieuses reste à écrire. » Et c’était pas pour du beurre.

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