« Une force d’un type nouveau »

Membre du PCF, ancien directeur de « l’Humanité », Pierre Zarka appartient
au courant des Communistes unitaires*. Selon lui, l’Appel de « Politis » permet un cadre
où tous les antilibéraux peuvent se retrouver.

Pierre Zarka  • 2 octobre 2008 abonné·es

Rarement le mécontentement à l’égard de la politique en cours n’a été aussi profond, et rarement son expression tant syndicale que politique n’aura été aussi peu à la hauteur. Si le potentiel de 2005 est toujours là, le moral ambiant est fortement marqué par l’expérience négative de l’éparpillement des forces antilibérales lors de la présidentielle. Un sentiment d’impuissance en découle, y compris parmi les milieux militants. Cet éparpillement a même gagné celles et ceux qui tenaient le plus au rassemblement unitaire.
Si je partage la nécessité « d’aller sur le terrain » et de dégager des propositions alternatives, cette seule proposition ne dit pas comment surmonter les obstacles. Syndicats et associations ne sont pas avares de propositions et de revendications. Mais faute de perspective unifiante, cela ne résout ni la question de la dynamique politique nécessaire, ni celle du pouvoir, ni même celle d’une riposte sociale cohérente.
Si les propositions représentent une base sur laquelle s’appuyer – encore faut-il vérifier qu’elles soient bien au niveau des enjeux –, elles ne résolvent pas les dimensions idéologiques qu’ont investies les forces du libéralisme. Pour aller vite, disons qu’il n’y a de lecture de toute proposition qu’à travers le filtre que constitue la représentation que l’on se fait de l’époque, du monde et de sa propre place possible dans ces espaces. Si je peux me hasarder à cette comparaison, je dirais que ce ne sont pas les congés payés qui ont provoqué le Front populaire mais que c’est bien ce dernier qui, par son antériorité – au mieux sa simultanéité –, a rendu possible leur existence. C’est la dynamique qui fait politique. Ce terrain est aujourd’hui occupé par le « management patronal » et par Nicolas Sarkozy. Cela pose comme une exigence immédiate la possibilité que celles et ceux qui y sont prêts fassent en sorte que leur diversité, voire leurs divergences, ne les empêche pas d’être ensemble tout de suite.

Cependant, si vouloir produire « la » culture politique nécessaire est une prétention sans nom, vouloir en produire des éléments constitutifs est possible. Aucune force prise séparément ne peut avoir cette prétention. Pas plus que l’addition des seules forces politiques dissociées de ce qu’il y a de profond dans la société : syndicats, associations, réseaux de mobilisations citoyennes ou réseaux culturels… En cela, l’Appel de Politis permet un cadre où tous les antilibéraux peuvent se retrouver, travailler et agir face aux exigences du moment, dimension européenne incluse. La réussite du 11 octobre peut être un élément de redynamisation des combats démocratiques.
Mais l’existence de l’Appel encourage à autre chose aussi. Parmi ses signataires, des militants considèrent que la dissociation du politique et des autres champs – social, sociétal, culturel – est un obstacle. Et parmi ceux-ci, certains pensent qu’ouvrir des perspectives pose tout de suite la nécessité d’investir l’ensemble du champ politique afin de le transformer. Ils souhaitent donc faire de la création d’une structure alternative non plus une visée lointaine et incertaine, mais un projet immédiat.
Évidemment, tous les signataires n’ont pas cette conviction, mais cela ne provoque pas de schisme, tant il est vital que de multiples formes d’engagements réussissent à constituer un mouvement politique – dans le sens que l’on utilise pour l’expression « mouvement social ». Deux réalités peuvent ainsi s’épauler sans se confondre : la constitution d’un cadre ouvert pour dégager des réponses alternatives à la politique néolibérale, et la progression vers la constitution d’une force politique d’un type nouveau (et pas simplement une force politique de plus).

Pour ceux-là, il est temps de passer à l’ouverture d’un processus. Car des forces se désespèrent, s’épuisent et finalement se perdent. Processus, car nous ne constituerons pas cette force du jour au lendemain. Que nous en soyons membres ou non, nous avons en tête ce que nous reprochons au fonctionnement des partis. Nous souhaitons mettre à profit des diversités de cultures politiques et de parcours afin de correspondre au mieux à l’éventail des réalités. Afin également que chacun d’entre nous bénéficie de l’effet stimulant de la contradiction. Nous devons apprendre à être à la fois ensemble et différents. Cela conduit à s’interroger sur la manière non pas d’aplanir toutes sortes de diversités, mais de les fédérer pour produire du commun. Je crois que personne n’attend le jour J d’une telle naissance. Il est plus sage d’envisager un processus toujours ouvert où personne n’aura un droit d’ancienneté, permettant à toute la gauche alternative de se retrouver si ce n’est tout de suite, le plus rapidement possible – à chacun ses rythmes. De même, il faudra certainement tâtonner avant de trouver une forme d’efficacité qui repose sur la liberté et l’apport de chacun.
L’Appel de Politis est marqué par la diversité de l’origine des signataires, mais aussi de la nature des engagements : politiques, syndicalistes, associatifs, individuels. Tous n’ont pas les mêmes visées immédiates, ce qui montre l’ampleur des attentes et des disponibilités. Comme quoi, une dynamique en entraîne d’autres qui lui sont liées, mais qui peuvent momentanément être distinctes. Il n’y a pas qu’un seul chemin qui mène à Rome.

Politique
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