Une occupation qui préoccupe du monde

Depuis près de six mois, des centaines de travailleurs sans papiers occupent les locaux de la CGT à la Bourse du travail de Paris. Ce qui entraîne conflits et tensions avec le syndicat.

Manon Loubet  • 30 octobre 2008 abonné·es
Une occupation qui préoccupe du monde

« Nous sommes environ 800 à dormir ici. Nous allons travailler et nous revenons occuper les lieux » , explique Anzoumane Sissoko, porte-parole du collectif de sans-papiers Coordination 75. Dans la cour de la Bourse du travail, au 85, rue Charlot, en plein cœur de Paris, des dizaines de travailleurs sans papiers s’affairent. Des hommes discutent, réunis en groupes. Femmes et enfants jouent ensemble. Quelques lits sont installés dehors, des frigos soutiennent les bâches qui protègent les occupants de la pluie. Les sans-papiers s’approprient le moindre mètre carré des couloirs et des cages d’escalier. Des centaines de lits multicolores sont alignés en rang d’oignon dans l’amphithéâtre. Certains occupants dorment, d’autres se reposent en devisant. Les lieux sont bien tenus ; l’organisation semble maîtrisée par les anciens, comme Anzoumane, qui ont déjà occupé l’église Saint-Bernard en 1996. En ce début d’après-midi, l’ambiance est calme, malgré le conflit qui oppose la CGT aux sans-papiers. Sans l’accord du syndicat, ces derniers ont en effet transformé une partie de ses locaux en gigantesque dortoir. Certains bureaux de la confédération sont condamnés, des salles de réunions deviennent inaccessibles.

Illustration - Une occupation qui préoccupe du monde

Les locaux de la CGT se sont transformés en un gigantesque dortoir où campent 800 personnes. Manon Loubet

« Nous sommes ici depuis bientôt six mois, et nous partirons seulement quand les 1 300 ­personnes qui se relaient pour participer au mouvement seront régularisées », martèle Anzoumane. Ces travailleurs, principalement issus de la restauration ou d’entreprises de nettoyage et de bâtiment, sont au même régime que les autres salariés : ils cotisent pour la Sécurité sociale, la caisse de retraite, les Assedic et payent des impôts. Seulement, comme ils présentent de faux papiers ou n’en possèdent pas, ils contribuent aux ­caisses communes sans jamais en bénéficier. « Ce qu’on veut, c’est la régularisation », entend-on dans la cour de la Bourse du travail. Quand la Coordination 75 dépose 1 000 dossiers à la préfecture, en avril dernier, ils ne sont pas même examinés, le gouvernement considérant la CGT comme l’unique interlocutrice pour régler les problèmes concernant les sans-papiers. Et la Coordination 75 de reprocher à la CGT d’avoir « pris en otage » le mouvement des sans-papiers. « Nous ­n’avions même plus le droit d’envoyer nos ­propres dossiers ! » , s’indigne Anzoumane.

En juillet, la Coordination 75 a finalement réussi, avec l’appui d’associations comme le Réseau éducation sans frontières (RESF) ou le Groupe d’informations et de soutien des immigrés (Gisti), à envoyer 730 dossiers à la préfecture. « Nous n’avons obtenu qu’une douzaine de régularisations par le travail, ce n’est pas beaucoup mais c’est un début » , espère le porte-parole. De son côté, la CGT s’interroge : « Nous vivons très mal cette occupation. Nous ne comprenons pas pourquoi ils nous envahissent alors que nous défendons la cause des sans-papiers » , déplore Bernadette Citot, responsable de la communication de l’Union départementale de la CGT de Paris. « Au début, nous avons essayé de négocier avec eux. Nous leur avons expliqué que l’occupation de nos locaux n’était pas une bonne chose, mais ils n’ont rien voulu entendre » , regrette-t-elle. Après de multiples rencontres avec la Coordination 75, la CGT a aujourd’hui coupé les relations avec les occupants de la Bourse du travail. Quant aux associations qui soutiennent les mouvements des sans-papiers, elles ne savent sur quel pied danser : « Nous comprenons la frustration des travailleurs sans papiers, mais nous sommes partagés quant à l’efficacité de l’occupation de la Bourse du travail, qui est un lieu ami » , confie Violaine Carrère, chargée de projet au Gisti. « Les syndicats et les associations disent que nous nous trompons de cible, explique Anzoumane, ils nous conseillent d’envahir nos entreprises. Seulement, ici, nous sommes tous des travailleurs sans papiers isolés. Nous n’avons pas les moyens d’occuper les 700 entreprises qui nous emploient. Alors, nous restons à la Bourse, qui est pour nous le symbole du travail. »

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