Propositions pour une autre économie

Dans un rapport adressé à l’Union européenne et dans un appel mondial, les ONG ont présenté un cahier des charges politique, social et environnemental pour sortir de la crise.

Manon Loubet  • 13 novembre 2008 abonné·es

Les représentants de 10 000 ONG et de 82 pays ont voulu marque le coup quelques jours avant la réunion du G20. Réunis pour la première fois en Forum international des coalitions nationales d’ONG, le 30 octobre à Paris, ils ont rendu publique une « feuille de route » et ont appelé l’Union européenne à défendre une réforme de la gouvernance mondiale au service des pays les plus pauvres dans un document intitulé « Messages du monde à l’Union européenne (UE) ». « Nous nous sommes tournés vers l’UE car elle est au cœur de la tourmente et dispose d’acquis sociaux actuellement menacés mais généralisables au reste du monde » , a expliqué le Forum des coalitions.
Les ONG sont aussi à l’initiative d’une « Déclaration relative à la proposition de “Sommet mondial” pour réformer le système financier international ». 630 groupes et ONG ont lancé un appel à signatures de cette déclaration de la société civile. Ils insistent sur les aspects sociaux, économiques et environnementaux, jugés indissociables de la crise financière.

L’ONU au centre d’une gouvernance mondiale

Les ONG souhaitent une réforme de la gouvernance internationale laissant une place aux pays les plus vulnérables au sein des institutions internationales. ­ « Aujourd’hui, il n’y a aucune personnalité politique des pays classés dans les PMA (Pays les moins avancés) au sein des institutions mondiales, c’est honteux », déplore Florent Sebban, responsable des programmes Europe et d’Aide publique au développement de la Coordination Sud, qui rassemble les ONG françaises de solidarité internationale. En effet, le poids des États au sein des institutions financières internationales se mesure en fonction de leur puissance économique. « Puisque les répercussions seront plus importantes sur les personnes les plus démunies et dans les pays émergents et en développement, les gouvernements et les citoyens ne devraient-ils pas avoir leur mot à dire, et non pas uniquement ceux qui sont responsables de cette crise ? » , interroge Lidy Nacpil, du Mouvement Asie/Pacifique sur la dette et le développement-Jubilé Sud.
Le document présenté le 30 octobre rappelle que de nombreux pays en développement ont contribué, malgré eux, à la montée en puissance de l’UE, et ce au détriment de leur propre développement. L’Organisation des nations unies (ONU) est considérée comme la meilleure institution pour prendre des décisions internationales, alors que l’UE plaide, de son côté, pour le renforcement du Fonds monétaire international (FMI) sur la scène internationale. La déclaration mondiale met aussi en cause le G20, « qui n’a pas plus de légitimité pour présider notre planète que le G8 » . Les ONG préfèrent *« s’inspirer ­pleinement des travaux du nouveau groupe d’action de l’ONU détaché pour réformer le système financier mondial, de ceux d’autres instances de l’ONU, ainsi que de la prochaine conférence de l’ONU du 29 novembre au 2 décembre sur le financement du développement (Doha, Qatar) ».
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Relocaliser l’économie pour sortir de la crise alimentaire

Les coalitions d’ONG exigent une régulation des marchés agricoles et demandent aux pays riches de respecter la souveraineté alimentaire des pays en voie de développement. Elles réclament la défense d’accords commerciaux favorisant l’essor des productions agricoles et industrielles locales. « Il faut arrêter de signer des partenariats de libre-échange entre les pays riches et les pays pauvres, ce n’est pas équitable » , s’indigne Florent Sebban. « Les marchés des pays en difficulté doivent être protégés de la concurrence injuste des produits importés d’autres régions du monde », lit-on dans le document du Forum des coalitions.
Signalant une baisse des aides au développement des pays riches vers les pays pauvres, les coalitions proposent, comme le revendiquent depuis une dizaine d’années les altermondialistes d’Attac, une taxe sur les transactions de change. « En mettant un pourcentage de taxe très faible, par exemple 0,005 %, on réduirait la spéculation et l’on générerait près de 40 milliards d’euros par an. Cela pourrait constituer un fonds ­d’aide pour les pays en développement » , estime la Coordination Sud.

Développer les systèmes sociaux

Les deux déclarations dénoncent un glissement de l’aide des secteurs sociaux de base comme l’école, l’éducation, l’accès à l’eau potable au profit de la lutte contre le terrorisme ou de la promotion des intérêts des entreprises. Selon elles, un engagement stable et à long terme est indispensable pour satisfaire les besoins essentiels des populations des pays pauvres. Les pays riches pourraient encourager les pays en difficulté à développer leurs systèmes sociaux de base, en centrant leur coopération sur les prérequis du développement humain : la santé, l’éducation, la nourriture, de ­bonnes conditions de travail…
Or, le Fonds monétaire international (FMI) et les pays développés ont ignoré cette politique en faveur des pays en voie de développement. « Les gouvernements ont été poussés vers la libéralisation des barrières ­commerciales, la déréglementation des marchés financiers et du marché de l’emploi, la privatisation des industries nationales, l’abolition des subventions et la réduction des dépenses sociales et économiques… » , dénonce la déclaration mondiale. « On voit bien que des aides des pays riches sont attribuées aux pays pauvres sous conditions, souvent au profit des pays riches » , souligne Florent Sabban.

Lutter contre le changement climatique

Alors que les pays riches sont les premiers émetteurs de gaz à effet de serre, les pays en développement sont les plus sévèrement touchés par les changements climatiques. Les coalitions d’ONG recommandent aux membres de l’UE de réduire leurs émissions de gaz d’au moins 30 % d’ici à 2020 et de 80 % d’ici à 2050. « Nous aimerions aussi mettre en place un principe de pollueur/payeur. Il faudrait pousser les entreprises à payer un droit à polluer qui constituerait un fonds de liquidités aux États. La moitié de cet argent pourrait être allouée à la lutte contre le changement climatique dans les pays les plus ­pauvres » , imagine Florent Sebban. « Face à l’urgence alimentaire, sociale, écologique, les coalitions régionales d’ONG appellent les pays riches à adopter des positions responsables et solidaires favorisant l’émergence d’un monde plus juste », concluent-elles.

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