Sarkozy : un actif toxique

Michel Husson  • 27 novembre 2008 abonné·es

Face à la récession, les réponses du gouvernement sont hallucinantes : travail le dimanche et/ou jusqu’à 70 ans, distribution de stock-options aux salariés, etc. Et il y a même eu un imbécile nommé Accoyer pour proposer l’amnistie aux exilés fiscaux. Comment expliquer, alors, que le gouvernement ne soit pas déconsidéré ? Il y a d’abord un effet de sidération devant la crise : on est au bord du précipice, on ne comprend pas bien ce qui nous tombe dessus, et tous ces milliards surgis de nulle part pour sauver les banques donnent le tournis. Il y a ensuite la tactique de Nicolas Sarkozy consistant à déplacer son activisme habituel au niveau européen, voire mondial.
Tout cela n’aura qu’un temps, et le nuage de fumée va s’estomper. On va s’apercevoir que les grands discours sur la régulation, la transparence, la coopération
– ou la lutte contre les paradis fiscaux – ne sont que des postures permettant de se dispenser de mesures concrètes à l’encontre des financiers. Chaque État est en train de faire sienne la forte devise d’Angela Merkel : « À chacun sa merde. » Certes, l’ampleur de la crise les a contraints à un minimum de concertation, mais le refus farouche de tout plan de relance concerté montre que chacun réfléchit à sa propre voie de sortie, le cas échéant sur le dos des « partenaires ».

La seule chose que l’Europe néolibérale ait conçue pour coordonner, c’est l’offensive contre les acquis sociaux.
Quand on aura compris que Sarkozy n’est pas le sauveur de la planète et du « bon » capitalisme, tout le monde va redescendre sur terre et faire deux ou trois constats. Le premier, ravageur, est dans toutes les têtes : de l’argent, il y en a pour les banquiers, mais pas pour les salaires, les retraites, les hôpitaux, etc. On va voir ensuite émerger une légère contradiction entre les rodomontades sur la relance européenne et la rigueur surréaliste du projet de budget français. On n’y trouve aucune des mesures qui permettraient d’amortir la crise, par exemple la revalorisation des minima sociaux, une véritable sécurité sociale professionnelle, un programme d’investissements publics, la taxation des revenus financiers, etc. Rien de tout cela, mais une baisse de la taxe professionnelle et des aides aux PME, et un appel assez pathétique aux préfets pour qu’ils veillent à la bonne distribution des crédits. Seuls les contrats aidés réduiront un peu la casse, mais ils sont surtout un aveu d’impuissance, ou plutôt de refus de prendre des mesures plus consistantes.

Constat suivant : toutes les mesures prises depuis l’élection de Sarkozy vont accentuer les effets de la crise. Stefano Scarpetta, spécialiste en flexibilité à l’OCDE, fait ce pronostic : « Les pressions seront très fortes sur les plus de 55 ans pour qu’ils acceptent de partir en retraite anticipée. Quant aux moins de 25 ans, pas ou peu diplômés, les portes des entreprises leur resteront fermées [^2]. » Seulement voilà : en France, on va supprimer les dispenses de recherche d’emploi pour les salariés âgés, et il n’y a pas de minimum social pour les moins de 25 ans.
Autre exemple : les heures supplémentaires. Leur progression provient surtout de la déclaration d’heures déjà faites. Mais les exonérations vont inciter les entreprises à y recourir plutôt que d’embaucher. La nouvelle loi votée cet été va encore faciliter l’allongement de la durée du travail, y compris pour les cadres au forfait-jours. Et le gouvernement envisage de faciliter le recours aux CDD dans les PME. Même Pierre Cahuc, fervent partisan d’un contrat de travail light, trouve que « ce n’est pas parce que l’économie est en récession qu’il faut bouleverser le code du travail [^2]». Et le doute étreint l’expert de l’OCDE cité plus haut : toutes ces réformes devraient « permettre un meilleur fonctionnement des marchés du travail », mais « qu’est-ce que cela va donner en période de récession ? Les demandeurs d’emploi auront beau être motivés, si les offres se tarissent, que se passera-t-il ? ». Bonne question.
Bref, au moment où le chômage repart à la hausse, toutes les « réformes » vont fonctionner comme des amplificateurs de crise et aggraver la situation de l’emploi. Cette conjoncture est finalement inédite : un désastre social s’annonce, mais le pouvoir s’obstine à mener une politique qui va en redoubler les effets. La majorité de la population est aujourd’hui littéralement encerclée par les offensives gouvernementales : emploi, pouvoir d’achat, Sécu, services publics, retraites, tout, absolument tout y passe. Toutes les conditions d’une explosion sociale sont ainsi réunies, et il n’est pas sûr que la pétrification du PS suffira à la désamorcer.

[^2]: Le Monde du 4 novembre.

[^3]: Le Monde du 4 novembre.

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