Un guarana pur, s’il vous plaît !

Les multinationales de l’agroalimentaire voudraient bien mettre la main sur le guarana des Satéré Mawé en Amazonie. Mais ceux-ci résistent, grâce au commerce équitable et à la valorisation de leur terroir.

Philippe Chibani-Jacquot  • 27 novembre 2008 abonné·es

« Beaucoup pensent que l’Amazonie c’est le bout du monde. Au contraire, c’est le cœur et le poumon du monde » , rappelle sereinement Obadias Batista Garcia, coordinateur du programme Warana [^2] des Indiens Satéré Mawé au Brésil. Et cette tribu de 10 000 âmes est au cœur d’une lutte emblématique face à la prédation des multi­nationales de l’agro-industrie. Depuis les années 1990, elle se bat pour préserver son trésor, le guarana sauvage, contre les appétits des géants mondiaux des sodas et ­autres douceurs gazeuses.
Le guarana est connu pour ses vertus énergétiques et antalgiques depuis des siècles. Mais ce n’est que dans les années 1930 que le premier soda à base de guarana est créé par le dictateur brésilien Getúlio Vargas. Antartica, produit par AmBev (American Beverage), premier brasseur latino-américain, devient la boisson nationale et ­relègue le Coca-Cola au second rang. La marque américaine sortira son propre breuvage au guarana au Brésil dans les années 1960. Aujourd’hui, la bataille continue sur fond d’atteinte à la biodiversité. La pression est d’autant plus forte que le marché du guarana s’est mondialisé. La plante intéresse les fabricants de boisson en quête de produits « naturels », mais aussi les firmes cosmétiques et pharmacologiques.

Illustration - Un guarana pur, s’il vous plaît !


La tribu des Satéré Mawé veut continuer de cultiver le guarana selon la méthode traditionnelle. DR

Le groupe AmBev (Antartica, Brahma, licence de production de Pepsi, Heineken, etc.) s’est adossé depuis 2004 au premier brasseur mondial : le Belge Inbev. C’est à Maués, à une heure de pirogue de l’aire indigène des Satéré Mawé, que la société brésilienne a installé un laboratoire de recherche afin de standardiser et d’améliorer le rendement des plants de guarana. Pour convaincre les paysans indiens, métis et blancs ­d’étendre la culture en plein champ, la firme a rallié les autorités locales. Selon Maurizio Fraboni, socio-économiste de l’ONG Acopiama, qui soutient les Satéré Mawé, celles-ci poussent les producteurs à utiliser les semences, pesticides et engrais chimiques d’AmBev en contrepartie de crédits à la consommation octroyés par les banques locales. Les producteurs, peu au fait de la différence entre un prêt et une donation, s’endettent et ­vendent directement leur récolte à la mairie, qui la revend à AmBev. Selon Obadias Batista Garcia, 95 % des producteurs de guarana, mis à part les Satéré Mawé, ont acheté les semences du groupe AmBev.
« Des conseillers municipaux se sont déplacés pour nous proposer les “clones” en échange de faveurs, raconte Obadias Batista Garcia, mais aucun Satéré Mawé n’a accepté. C’est contraire à notre culture de manipuler le guarana. » La résistance de la tribu provient de sa longue expérience. Elle se bat en effet depuis des décennies pour conserver sa culture et sa spécificité au sein de la population brésilienne. Un Conseil général de la tribu Satéré Mawé (CGTSM) préside aux destinées de la communauté, tandis que la commercialisation du guarana traditionnel avec des partenaires équitables (Guayapi tropical en France, CTM Altromercato en Italie) a permis de renforcer son indépendance économique.
De ce fait, les Satéré Mawé cultivent toujours le guarana selon la méthode traditionnelle en prélevant des souches sau­vages pour les replanter autour de leur maison au milieu d’autres ­essences. La spécificité du mode de production sur le terroir ­d’origine permis aux quelque 550 producteurs indigènes d’obtenir une reconnaissance officielle de leur plante sur le modèle de nos appellations d’origine contrôlée.

Si l’organisation sociale des Sateré Mawé a protégé les producteurs de l’expansionnisme d’AmBev, tout risque d’appauvrissement de la biodiversité n’est pas écarté. La tribu a institué un sanctuaire écologique au sein de son territoire pour maintenir l’intégrité génétique du guarana sauvage. Mais la proximité entre les zones indigènes et les zones de monocultures contrôlées par AmBev font craindre un phénomène de dissémination croisée des espèces, via la pollinisation des abeilles. Cette contamination de la plante sauvage par la plante standardisée, hypermajoritaire, fait craindre le risque d’un « appauvrissement génétique graduel » , selon Maurizio Fraboni.

« L’objectif est d’organiser une ceinture de protection de l’ère indigène, qui s’étend sur près de 800 000 hectares » , explique le socio-économiste. Pour cela, il faut convaincre les producteurs autour du territoire indigène de refuser les semences d’AmBev. « En faisant certifier bio et équitable notre guarana, nous avons valorisé notre produit. Cela a posé un gros problème aux multinationales car d’autres producteurs, non indigènes, ont voulu obtenir la même certification », raconte Obadias Batista Garcia. Les Satéré comptent sur cet engouement pour rallier les producteurs périphériques à une démarche éthique et équitable. Un défi face à des transnationales qui ont investi des ­dizaines de millions d’euros pour intensifier la culture du guarana au Brésil. Mais Obadias Batista Garcia en est sûr : « La lutte du ­peuple Satéré Mawé passe par la défense des peuples amazoniens menacés par la déforestation et ­l’agrobusiness. »

[^2]: Nom traditionnel du guarana.

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