Ils ont les surveillants à l’œil

Des logiciels de fichage aux caméras indiscrètes, les Big Brother Awards (BBA) dénoncent une société bafouant les droits privés. Et publient un tableau alarmant du flicage actuel.

Manon Loubet  • 11 décembre 2008 abonné·es
Ils ont les surveillants à l’œil
© Big Brother Awards, les surveillants surveillés, éditions La Découverte, label Zones.

« L’équipe des Big Brother Awards (BBA) France, partenaire de Privacy International, décerne chaque année depuis 2001 des “prix Orwell” aux institutions, sociétés ou personnes s’étant distinguées par leur mépris du droit fondamental à la vie privée ou par leur promotion de la surveillance et du contrôle des individus », peut-on lire à la première page de l’ouvrage Big Brothers Awards, les surveillants surveillés.

Illustration - Ils ont les surveillants à l’œil


Les dispositifs de vidéosurveillance sont dans le collimateur des Big Brother Awards. JUPITERIMAGES

Lors de la cérémonie des BBA, les promoteurs de la société de surveillance, « trop souvent méconnus » selon les organisateurs, font l’objet d’une attention particulière du public et des médias. Cette année, ils bénéficient d’une visibilité supplémentaire grâce à ce livre, en librairie depuis quelques semaines. Un collectif de professionnels, membres ou sympathisants des BBA, s’est appliqué à distinguer les grandes tendances de l’année 2007/2008, puisant dans huit années de dossiers et de palmarès pour dresser une inquiétante chronique de la surveillance dans la société contemporaine.
Les BBA sont à l’initiative de Privacy International, une organisation non-gouvernementale britannique, dont le but est d’éveiller l’opinion sur la dégradation du respect de la vie privée et les nouvelles technologies de surveillance des individus. Privacy International milite contre les dérives orwelliennes de la société. L’ONG a mis en place un système de prix empoisonnés : les Big Brother Awards. À chaque printemps, les organisateurs décernent des prix à des personnes physiques ou morales s’étant fait remarquer par leur mise en œuvre d’un système de surveillance restreignant le droit privé. Aujourd’hui, les BBA se développent dans une vingtaine de pays sur quatre continents. Huit parviennent à réitérer l’expérience tous les ans, dont la France depuis 2001.

L’opération BBA en France est issue de rencontres entre militants associatifs, travailleurs sociaux, journalistes, juristes et avocats défenseurs de la vie privée et des libertés publiques. Le palmarès 2007, rendu public en mars 2008, a notamment récompensé Google Inc., pour avoir placé sous surveillance les internautes du monde entier ; le fichier Base élèves, pour avoir voulu contrôler les enfants ; les drones de Quadri-France et Elsa, de petits avions semblables à des maquettes, chargés de surveiller les banlieues. Michel Denis et Pascal Bugis, respectivement maires de Saint-Fons et de Castres, ont reçu un prix pour avoir organisé un fichage des jeunes « basanés »… À cela s’ajoutent les nominés qui n’ont pas remporté les premiers prix, pourtant tout aussi dignes des comportements de Big Brother. Citons les célèbres logiciels de fichage Edvige, Cristina et Ariane, les dispositifs de vidéosurveillance dans les villes et les transports, ou encore le « neighbours watching » incitant à la délation citoyenne. Sans oublier des outils utilisés au quotidien comme la carte Vitale ou les cartes de transport équipées de puces Radio Frequency Identification (RFID), qui recensent les déplacements de leurs utilisateurs.

Pour clore la cérémonie, les BBA finissent par une touche de plaisir et de liberté : les prix Voltaire récompensent (pour de vrai cette fois-ci !) des personnes qui résistent pour protéger les libertés. Dans le dernier palmarès, les lauréats sont le Collectif refus ADN pour son combat contre le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), le Syndicat national des professionnels infirmiers pour sa lutte contre le bracelet RFID numéroté des patients dans les hôpitaux, ou encore le Collectif Ploërmel sans vidéo…
Dans Big Brother Awards, les surveillants surveillés, l’historien Maurice Rajsfus, ancien président du jury des BBA France, conclut : « La société dans laquelle nous vivons est bien pire que celle imaginée dans 1984. »

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