Le mouvement social au tribunal

Une délégation de personnalités françaises est allée soutenir des syndicalistes qui passent en procès pour s’être opposés pacifiquement au régime de Ben Ali.

Éléonore Bravo  • 4 décembre 2008 abonné·es

Ce jeudi, commence en Tunisie le procès des leaders syndicaux du plus important mouvement social qu’ait connu la Tunisie du président Ben Ali depuis son arrivée au pouvoir, en novembre 1987. Ce « procès des 38 », comme il est appelé, aura lieu à Gafsa, la capitale administrative de la région du bassin minier tunisien, qui s’est enflammée de janvier à juin 2008, à 400 kilomètres au sud-ouest de Tunis. La population de ce bastion ouvrier a mené en effet durant six mois une importante révolte pacifique aux allures de mouvement social, malgré l’encerclement militaire et policier, avant de finir écrasée par la chasse à l’homme, deux cents emprisonnements et des tortures physiques et psychologiques.
Le procès se déroulera avec une forte présence de la société civile et des avocats démocratiques tunisiens, ainsi que de délégations syndicales internationales, dont l’une venue de France.

Illustration - Le mouvement social au tribunal

Une révolte gronde contre la politique népotique et injuste de Ben Ali.
Belaid/AFP

Parmi les inculpés, outre les leaders du mouvement emprisonnés en Tunisie, figure également Mouhieddine Cherbib, président de la Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives à Paris. Il est accusé de solidarité avec le mouvement et de diffusion de l’information vers l’étranger. Le mouvement du bassin minier avait été déclenché début janvier par la publication des résultats du concours d’embauche de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), l’unique moteur économique de la région. Jugeant frauduleux ces résultats, l’ensemble de la population, des jeunes chômeurs aux veuves de mineurs en passant par les enseignants, les fonctionnaires, les marchands, les ouvriers, les étudiants et les habitants, a multiplié les actions. Sur fond de grande pauvreté et de flambée des prix, la population protestait contre la corruption d’un système local népotique et contre une politique de l’emploi injuste, et elle réclamait l’ouverture de négociations pour l’avenir de la région.
Au fil des mois, la mobilisation, aux allures parfois d’épopée héroïque, a pris la forme tour à tour de sit-in des familles des invalides de la CPG et des morts à la mine, de grèves, d’actions des ouvriers licenciés, d’occupations diverses, de rassemblements et de désignation d’un collectif de représentants, d’actions nocturnes contre les forces de police par les plus jeunes, et, enfin, les femmes ont menacé de quitter la ville de Redeyef si la pression policière se poursuivait… Le siège local du syndicat de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), au centre-ville de Redeyef, avait même été réquisitionné par les contestataires, au nez des autorités, pour servir de quartier général aux habitants en révolte.

La semaine dernière, c’est une autre délégation, composée d’élus et représentants de la société civile française, parmi lesquels Marie-George Buffet, Cécile Duflot, Monseigneur Gaillot, Clémentine Autain, Robert Bret pour Attac, ou encore la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Hélène Franco, qui s’est rendue en Tunisie trois jours durant afin de rencontrer les familles des prisonniers à Redeyef, leurs avocats à Gafsa ainsi que la société civile démocratique à Tunis, réunie pour la circonstance au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, d’ordinaire interdit d’accès par les forces de police. De fait, malgré l’impressionnant dispositif policier, la délégation a pu se rendre jusqu’à Redeyef, où même les avocats peinent pourtant presque systématiquement à se rendre. Une demande de rencontre avec le ministre de la Justice tunisien est restée en revanche sans réponse.
Dans une lettre adressée à son retour aux premiers secrétaires de partis politiques français ainsi qu’aux syndicats et organisations civiles, la secrétaire générale du Parti communiste, Marie-George Buffet, a dénoncé « un régime qui foule aux pieds quotidiennement les règles élémentaires de la démocratie et de l’État de droit, et refuse de répondre autrement que par la répression aux légitimes revendications sociales qui s’expriment de plus en plus fortement » . Elle a lancé l’idée d’une « coordination de solidarité et pour la démocratie en Tunisie ». Elle a rappelé enfin que les militants de la société civile tunisienne « attendent de la France une tout autre attitude qu’une complaisance officielle envers le régime » . Un sentiment qui avait motivé l’ensemble de la délégation.

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