Le regard en partage

Dans « Je veux voir », Catherine Deneuve et le comédien libanais Rabih Mroué se rendent dans le Sud-Liban dévasté par la guerre. Un film de rencontre.

Christophe Kantcheff  • 4 décembre 2008 abonné·es

Le principe de J e veux voir, exposé d’emblée, est simple : alors qu’elle séjourne à Beyrouth, Catherine Deneuve, accompagnée d’un comédien libanais, Rabih Mroué, va se rendre, l’espace d’une journée, dans le Sud-Liban, et ce voyage sera filmé par les cinéastes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, libanais eux-mêmes. Le projet, a priori, peut paraître étrange, voire incongru. Que vient donc faire Catherine Deneuve dans cette aventure ? Et pourquoi ?
Même si l’actrice n’est pas à l’initiative du film, c’est elle qui en est le moteur narratif. Dès les premières images, elle affirme, sans contestation possible malgré les problèmes de sécurité : « Je veux voir. » Elle veut voir le sud du pays, là où quelque temps auparavant (pendant l’été 2006), une guerre a opposé Israël au Liban. Deneuve dit elle-même qu’elle ne sait si elle comprendra quelque chose, mais elle veut voir, notamment parce que toutes les ­images télévisuelles aperçues pendant le conflit lui ont paru « irréelles ».
Catherine Deneuve ne suit pas une démarche humanitaire, mais un élan personnel. Quant à son « guide », Rabih Mroué, il est loin d’être neutre. Natif du Sud, il n’y est pas retourné depuis la fin de la guerre. À cause, là aussi, du flux médiatique qui s’est abattu sur cette région détruite : il se sentait « touriste » dans son propre pays. Mais avec la comédienne, dit-il, c’est « autre chose ».
*
Cette tentative de partage des regards, l’un extérieur (Deneuve), l’autre totalement impliqué (Mroué), est l’un des éléments du film les plus passionnants. Le respect domine la relation qui s’instaure entre ces deux ­personnes, qui ne se connaissaient pas jusque-là. L’un comme l’autre n’affirme rien. Aucun propos intrusif, ni « vérité » assénée. Voir suggère d’abord un certain silence. L’une des scènes les plus émouvantes est sans aucun doute celle où Mroué, sur les lieux du village de sa grand-mère, ne reconnaît plus rien dans les ruines. À côté de lui, Catherine Deneuve, attentive à son émotion, reste muette.
Mais, bien entendu, la présence de la comédienne de Buñuel, de Truffaut ou de Demy en ces régions lointaines et abîmées a une portée particulière. À l’écran, c’est comme si l’ambassadrice du « Cinéma » se transportait dans le réel le plus cru. Pas de miracle pour autant mais un effet révélateur. Par exemple, les limites de ce qui peut être filmé, donc vu, ne sont pas repoussées. Au contraire, elles apparaissent peut-être davantage. Ici, une route jusque-là fermée s’ouvre pour le tournage. Mais un trou d’obus la coupe et arrête la progression. De même, Catherine Deneuve découvre, dans le Sud, que les ruines de Beyrouth sont ­détruites et jetées à la mer, comme si elles ­n’avaient jamais existé. Où est le mensonge, l’artifice, la manipulation ? Où est la fiction, le réel ?
*Je veux voir
se tient là où le plus souvent on passe sans s’arrêter : qu’est-ce que voir ? Comment peut-on encore voir, et pourquoi ? En réunissant une star et un pays tous deux trop exposés mais pas forcément justement perçus, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige signent un film sensible de rencontre et d’échange.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes