L’égalité relative

L’enseignement est gratuit en France depuis 1881.
Mais l’école reste une source de dépenses importante pour les familles, donc d’injustices.

Ingrid Merckx  • 24 décembre 2008 abonné·es

« Je suis institutrice dans une école gratuite, publique et obligatoire » , répète la princesse Dézécolle dans la Belle Lisse Poire du prince de Motordu de Pef (Gallimard, 1980). Pas un hasard : en France, l’école publique est gratuite et laïque depuis les lois Ferry de 1881 et 1882. Un principe qui a été étendu du primaire au secondaire par la loi du 31 mai 1933. Pourquoi, alors, cette polémique, chaque automne, sur le coût de la rentrée ? L’école ne serait-elle pas si gratuite qu’on le dit ?
En fait, ce n’est pas l’école qui est gratuite, mais l’enseignement public. Les familles devant prendre à leur charge les frais individuels de demi-pension, garderie, centre de loisirs, fournitures et transport scolaire, ainsi que les activités facultatives hors enseignements obligatoires et hors temps scolaire. Concernant les manuels, plus de 90 % des écoles se chargent de les acheter, l’État assurant leur coût au collège, et les parents au lycée. En moyenne, les familles ­dépensent 7 000 euros pour scolariser un enfant de la maternelle à la terminale, ­d’après une enquête de l’Institut de recherche en économie de l’éducation (Iredu). Preuve que le débat sur la gratuité ne peut se limiter à la question des frais d’inscription. Les coûts « annexes » pèsent sur les budgets et pénalisent les moins favorisés.

Illustration - L’égalité relative

On se souvient de la polémique soulevée la rentrée dernière par la « liste Darcos » : le 10 juillet, le ministre de l’Éducation avait appelé les établissements « à la modération » et passé un accord avec des représentants de la grande distribution pour faire baisser le prix de certaines fournitures indispensables. Pourquoi ces représentants en particulier ? Et pourquoi en avoir averti les enseignants si tard ? Xavier Darcos a profité de l’aubaine pour tenter de camoufler 11 200 suppressions de postes censées faire réaliser des économies à l’État derrière une communication ciblée sur cette « rentrée moins chère » .
« C’est tout au long de l’année qu’on sollicite la participation financière des parents , rappelle néanmoins la Fédération des conseils de parents ­d’élèves (FCPE). L’école est la première prescriptrice de dépenses, et cela de façon inégale selon les établissements » , s’insurge cette grande militante de la gratuité en renvoyant au rapport Toulemonde sur le sujet (2002).

Inégalités entre les familles ; inégalités entre établissements, qui vont croissant avec la suppression de la carte scolaire et la concurrence qu’elle instaure ; inégalités entre les communes, qui grimpent depuis les lois de décentralisation et le désengagement progressif de l’État… La gratuité est-elle vraiment une garantie d’égalité ?
Autres problèmes : le financement des ­écoles privées et les actuelles tendances à la privatisation et à la marchandisation de l’école. En 2005, une circulaire ministérielle découlant de la loi dite « relative aux libertés et responsabilités locales » a consigné aux préfets et aux inspecteurs d’académie les modalités de répartition de la contribution des communes au fonctionnement des écoles privées. Un certain nombre d’élus ont protesté, notamment au nom de la laïcité.
Par ailleurs, si Xavier Darcos se pose en « défenseur du service public » , une bonne partie de ses détracteurs voit en lui comme le bras armé de la privatisation : externalisation de certains personnels ou de certains programmes spécifiques (Rased), recours accru à des vacataires, proposition de transférer les premières années de maternelle à des jardins d’éveil… Quant au marché de l’éducation, il prospère, notamment sur le front du soutien scolaire. Le prince de Mortordu en mangerait son château.

Société
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