Les « droits Mickey »

Christine Tréguier  • 11 décembre 2008 abonné·es

Il s’en passe de drôles à Bruxelles. Le lobby de l’industrie des contenus, soutenu par l’État français, Nicolas Sarkozy en tête, fait toujours le forcing pour faire adopter le concept fumeux de « riposte graduée » – cette sanction non judiciaire qui prive de l’accès au réseau les abonnés soupçonnés d’avoir téléchargé illégalement. Avec la complaisance de la Commission, le Conseil de l’Europe vient de faire sauter le fameux amendement 138. Son rappel au fait que toute sanction doit passer par un juge gênait. C’est dans ce contexte que la commission Culture prépare discrètement une autre directive allongeant de 50 à 95 ans la durée de protection des droits d’auteur et droits voisins (en France, ils sont de 70 ans et 50 ans après la mort de l’auteur). Et Guy Bono, l’homme par qui le 138 est arrivé et reviendra, s’est… abstenu.

« Je ne suis pas farouchement opposé à l’allongement de la durée de protection des droits, a dit le député PSE, à la condition toutefois qu’il y ait une meilleure répartition des richesses entre les artistes et les intermédiaires. » Et d’expliquer que le reversement des droits dits « d’auteur » fait la part belle aux producteurs/diffuseurs (50 % sur chaque titre vendu), laissant aux auteurs 5 % sur un CD et 0,003 euro sur un morceau téléchargé (0,99 euro), et rien aux interprètes. Ils ne perçoivent de « droits voisins » que lors de « représentations au public » des œuvres, ainsi qu’une fraction de la taxe sur les supports numériques prélevés au titre de la copie privée. L’amendement proposé par Bono, pour une répartition plus équitable, a été – s’en étonnera-t-on – évacué. Pas touche au grisbi des gestionnaires de droits !

D’ailleurs, Guy Bono, radical lorsqu’il s’agit de contrer la riposte graduée, l’est nettement moins vis-à-vis de l’extension ad libitum de ces rentes indues. Peut-être en ignore-t-il le pourquoi et l’origine. L’Europe ne fait qu’emboîter le pas à une loi américaine de 1998 étendant les droits à 70 ans (95 ans pour les entreprises). Connue sous le nom de « Mickey Mouse Protection Act », elle fut motivée à l’époque par le fait que Mickey, Donald et les autres allaient chuter dans le domaine public et, avec eux, une part non négligeable des rentes de la multinationale. Ces 95 ans, proposés par le lobby de l’industrie culturelle, feront l’affaire de Disney, Universal et consorts, et au passage celle de l’ami Johnny et de toutes les familles rentières par la grâce d’un rejeton artiste. Tout est bien qui continue bien pour les bénéficiaires de ces privilèges archaïques.

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