Qui va garder les enfants ?

Crèches, haltes-garderies, assistantes maternelles… Les systèmes de garde français sont divers mais s’adaptent encore mal à l’évolution des familles et des rythmes de travail, malgré quelques initiatives associatives.

Mathilde Azerot  • 18 décembre 2008 abonné·es

Les parents en savent quelque chose. Pour ceux qui, par désir ou nécessité, doivent concilier vie professionnelle et vie familiale, la recherche d’une place en crèche ou d’une assistante maternelle pour les tout-petits est un moment crucial, voire une source d’angoisse. D’autant qu’en matière de garde d’enfants, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. La France possède l’un des meilleurs systèmes au monde pour les moins de 3 ans : crèches (municipales, associatives, parentales), ­haltes-garderies, jardins d’enfants, assistantes maternelles, assistants familiaux. Mais si la diversité existe, le modèle français souffre de disparités importantes : pénurie de places, inégalités géographiques, incompatibilité avec les horaires de travail. Comment adapter les modes de garde aux rythmes de travail actuels ? Un dossier de taille pour les politiques publiques.

La France a adopté une politique volontariste dans les années 1980 : développement des crèches et autres modes de garde, aides financières pour la famille, reconnaissance du métier d’assistante maternelle, etc. « C’est le résultat d’un mouvement des femmes pour concilier vie familiale et professionnelle, explique Danielle Boyer, sociologue à la Caisse nationale d’allocations familiales (CAF). Mais aussi d’une préoccupation forte pour maintenir un taux de natalité élevé. » Avec l’Irlande, la France détient le plus fort taux de natalité d’Europe (près de deux enfants par femme), et 82 % des Françaises de 25 à 49 ans travaillent. Un record. Pour promouvoir l’accès des ­femmes à l’emploi, mais aussi faire face au vieillissement de la population, l’Union européenne a fixé des objectifs aux États membres : ils doivent prévoir des structures d’accueil pour au moins un tiers des enfants n’ayant pas l’âge d’être scolarisés.
La France est bonne élève puisque 30 % des 2,4 millions d’enfants de moins de 3 ans bénéficient d’un mode de garde. Ce qui ne règle qu’une partie du problème : quelle solution pour les autres ? Bien souvent, il n’y en a qu’une : la famille. C’est-à-dire la mère, pour l’immense majorité. 98 % des bénéficiaires du congé parental, qui interrompent donc leur carrière pour un temps plus ou moins long afin d’assurer la garde de leurs enfants, sont des mères. « En France, rien n’est fait pour inciter les pères à prendre un congé parental, déplore Danielle Boyer. La question de l’égalité entre hommes et femmes, notamment dans le monde professionnel, n’est pas au centre des dispositifs. Tant que les inégalités se maintiendront dans l’emploi, elles se maintiendront dans la vie privée. » Et tant que les femmes seront globalement moins payées que les hommes, le choix de celui qui s’arrête de travailler pour s’occuper des enfants continuera à se porter sur elles.
Érigé en modèle, le dispositif suédois privilégie la coparentalité : le congé parental y est de 16 mois, rémunéré à 80 %, dont 30 jours non transférables, obligatoirement réservés au père. « La plupart ne vont pas au-delà des 30 jours. Donc c’est la femme qui reste à la maison, nuance Danielle Boyer. En France, la ségrégation exercée au travail envers les femmes est verticale. Mais, en Suède, la discrimination est d’une autre nature : elles sont cantonnées dans des sphères professionnelles particulières, et surreprésentées dans les services publics. Tandis qu’en France elles ont investi à peu près tous les champs professionnels. Nous n’avons pas la même histoire. »

Reste qu’en termes d’accueil la France a encore de gros efforts à fournir. Il faudrait 300 000 à 500 000 places supplémentaires tous modes de garde confondus. Le système accuse également des disparités en termes de coût : malgré le versement à la famille d’aides directes de la CAF via la Prestation d’accueil du jeune enfant, le coût restant à la charge des familles dépend largement du mode de garde. La crèche est le moins onéreux : 230 euros par mois en moyenne, le tarif étant indexé sur les revenus déclarés, contre plus de 300 euros par mois pour une assistante maternelle. Les crèches, qui sont financées par les collectivités et subventionnées par les CAF, n’accueillent que 9 % des enfants gardés à l’extérieur. Le recours à une assistante maternelle concerne plus de 18 % d’entre eux. Si 11 000 places de crèches sont créées chaque année, le rythme est loin d’être suffisant, et la demande ne cesse d’augmenter.
Autre enjeu pour la politique de la petite enfance : répondre à la mutation de la structure familiale. La multiplication des familles recomposées, homoparentales ou monoparentales oblige aussi à repenser le système des modes de garde. Le nombre de familles monoparentales explose. Fragiles économiquement, celles-ci n’ont d’autre alternative que de se maintenir sur le marché du travail ou de s’en éloigner le moins longtemps possible. Plus généralement, l’évolution du marché du travail, qui impose de plus en plus de « flexibilité », rend inadéquats les horaires pratiqués par les crèches classiques (7 h-18 h 30). Nombreux cumulent donc ­crèche et baby-sitter, avec le coût supplémentaire que cela implique. Les crèches d’entreprises proposent plus aisément des ho­raires élargis, mais rares sont les sociétés qui en possèdent (environ 2 %). « En France, la participation des employeurs dans la vie privée est socialement mal acceptée, note Danielle Boyer. Les entreprises restent réticentes. »

Les initiatives qui se multiplient pour répondre à certaines contraintes horaires sont principalement associatives : crèches parentales, crèches à horaires élargis, etc. À Paris, l’association la Maison des bout’chou a, depuis 1994, ouvert deux crèches collectives « à horaires décalés » dans les XIIIe et XIVe arrondissements. Elles offrent une amplitude horaire inédite : 5 h 30-22 h et accueillent en priorité les enfants dont les parents ont des horaires atypiques. « Le matin, ce sont surtout ceux qui travaillent dans les centres de tri de La Poste, sur les marchés, dans des sociétés de ménage ou dans la restauration collective, et le soir, les intermittents du spectacle, les professions libérales et les parents travaillant dans la vente » , explique Odile Paris, chargée de la coordination au sein des deux établissements. Si les horaires sont extensibles, chaque enfant ne peut rester plus de dix heures par jour dans ces crèches. Odile Paris estime néanmoins que ce type de structure ne doit pas devenir la règle. « L’important est de respecter le rythme de l’enfant. Un enfant qui arrive à 5 h 30, c’est un enfant qui est réveillé très tôt. Il s’agit de répondre à un besoin et non d’en créer de nouveaux. Alors, quand on entend parler du travail le dimanche… »

Augmenter l’offre. Nadine Morano, secrétaire d’État à la famille, l’a bien compris : le 26 novembre dernier, elle a assuré vouloir créer 200 000 à 400 000 places, tous modes de garde confondus, d’ici à 2012. Mais elle a aussi affirmé ne pas pouvoir « couvrir la France de crèches » , déficit de la Sécurité sociale oblige. Comment compte-elle donc s’y prendre ? « En assouplissant les normes et en optimisant l’existant » , assure-t-elle. C’est-à-dire en diminuant le taux d’encadrement, qui est actuellement d’un adulte pour cinq enfants ne marchant pas, d’un adulte pour huit enfants en âge de marcher au sein des crèches, et de trois enfants par assistante maternelle. Cette annonce inquiète le personnel de la petite enfance qui redoute de devoir sacrifier la qualité aux impératifs numériques. Et, par là même, de voir les conditions de travail et d’accueil se dégrader.

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