Inflation ou déflation

Dominique Plihon  • 29 janvier 2009 abonné·es

Les plans de sauvetage des banques sinistrées par la crise puis les plans de relance des économies en début de récession ont amené les gouvernements à décider de dépenser des montants faramineux. Il en est résulté une hausse spectaculaire des déficits publics, entraînant un accroissement considérable des émissions de titres de la dette publique. Cet endettement public est venu s’ajouter à la dette, et souvent au surendettement, des ménages. À tel point que les gouvernements commencent à avoir des difficultés à se financer : les États-Unis et l’Allemagne, qui ont les meilleures signatures, n’ont pas réussi récemment à placer la totalité de leurs titres auprès des investisseurs. Et les pays les plus touchés par la crise – Espagne et Irlande, notamment – ont vu leur notation dégradée par les agences, entraînant un surcoût de leur dette publique.

Face à cette contrainte imposée par les marchés, qui reprennent ainsi leur pouvoir de sanction, il y a une solution : financer une partie des déficits publics par la création monétaire des banques centrales. Les États-Unis ont déjà décidé d’utiliser ce levier : la Fed (banque centrale) a accepté de monétiser une partie de la dette du Trésor pour financer le gigantesque plan de relance de la nouvelle administration. L’avantage de cette solution est clair : permettre un endettement public sans intérêts, et accroître d’autant la marge de manœuvre du gouvernement. Mais il y a un risque : celui d’un dérapage inflationniste si l’émission monétaire est excessive et mal contrôlée. Les pays européens ne sont malheureusement pas en mesure de mettre en œuvre une telle politique car le traité de Maastricht interdit tout financement monétaire des États de la zone euro par la BCE.

En partant de cette analyse, deux scénarios se profilent : d’un côté, les États-Unis vont tenter une sortie de crise par une politique de dépenses publiques très ambitieuse, qui sera sans doute accompagnée de tensions inflationnistes dont l’un des effets sera de dévaloriser en partie la dette publique et d’en atténuer le coût. Les États-Unis ont déjà mené cette politique sous Roosevelt pour sortir de la crise de 1929 en augmentant simultanément la dette publique, la création monétaire et l’inflation.
De leur côté, les pays de la zone euro seront astreints à des politiques publiques beaucoup moins ambitieuses si les règles interdisant le financement monétaire des États sont maintenues. Le risque est alors d’assister à une sortie de crise de nature déflationniste, avec une baisse de l’activité et de l’emploi, ainsi que des prix. La baisse des prix et la hausse de taux d’intérêt entraîneront une hausse de la charge de la dette, ce qui pourrait conduire à une spirale récessive dangereuse. Le coût social de ce scénario serait évidemment très élevé. De plus, la faible marge de manœuvre des États européens empêchera ceux-ci de mener les politiques d’investissement public massif nécessaires pour transformer en profondeur le système de production, de transport et d’habitat afin d’atteindre les objectifs environnementaux ambitieux qui s’imposent face à la crise écologique. Si des évolutions aussi différentes se produisaient de part et d’autre de l’Atlantique, il pourrait en résulter des effets pervers à l’échelle internationale, avec une baisse brutale du dollar encouragée par les autorités américaines pour compenser la hausse de leurs prix.

Cette évolution dangereuse, dont il faut espérer qu’elle ne se produira pas, montre le caractère inadapté des institutions européennes, dont la réforme est urgente. La crise a déjà permis de faire sauter le verrou du Pacte de stabilité et de croissance qui limitait les déficits publics à 3 % et les dettes publiques à 60 % du PIB dans les pays de l’Union européenne. Il faut désormais faire sauter le deuxième verrou de l’interdiction du financement monétaire des déficits publics. Cela permettrait de remettre en cause le statut actuel de la Banque centrale européenne et de l’euro pour mettre ceux-ci au service d’une politique européenne ambitieuse. Ce changement est politiquement légitime : il redonnerait à la monnaie sa dimension sociale et politique.

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