Le réel et son double

Qu’il soit sous forme de blog ou de livre, « l’Autofictif »,
d’Éric Chevillard,
est un journal de bord impertinent et cocasse.

Christophe Kantcheff  • 29 janvier 2009 abonné·es

Depuis le 18 septembre 2007, Éric Chevillard tient un blog, l’Autofictif , dont les posts de la première année sont aujourd’hui publiés sur papier. « Parce qu’un livre, écrit-il en introduction, sera toujours le terme logique de mes entreprises. » Chaque jour, sans interruption, Éric Chevillard y dépose trois paragraphes, dont certains tiennent de l’aphorisme, voire de l’haïku. Les plus puristes des blogeurs trouveront sans doute à redire à ce blog sans liens ni commentaires, mais les lecteurs qui le connaissent déjà savent que le rendez-vous de ce « work in progress » devient vite indispensable et qu’il a la dimension, au même titre que les romans de l’auteur ( Sans l’orang-outan , chez Minuit, est le dernier en date), d’une œuvre littéraire, ce qu’on rencontre rarement sur le Net.
Car l’Autofictif est d’abord une aventure d’écriture. L’Autofictif, titre ironique, peut être considéré comme un journal où la personne Éric Chevillard est présente. Mais il y entre aussi tout un univers qui, s’il n’est pas totalement fictif, relève d’un réel distordu, à la logique souvent hilarante (et au bestiaire développé, une caractéristique chez Chevillard). Exemples : « Un crocodile te mange le pied ? Va vite ! Tu n’as que quelques secondes pour te montrer en société avec ce beau soulier » ; « Une chenille y va ; un papillon en revient. Retour en avion. » Ou encore : « Il existerait une version raturée de Don Quichotte dans laquelle Rossinante est un zèbre. » Le texte est ainsi truffé de trouvailles poético-cocasses qui, somme toute, ne sont pas plus absurdes que notre monde tel qu’il va. Et dont la noirceur n’est pas non plus ignorée (même métaphoriquement) : « J’ai eu tort de laver mes carreaux. Dehors, c’est plus sale encore ! »
Les événements du réel traversent l’Autofictif. L’un des moindres n’est pas la naissance de sa fille Agathe, le 24 avril 2008, commentée sobrement : « Agathe/47 cm/2 kg 800 » . Par ailleurs, un certain « souverain omnipotent » qui « abat lui-même la besogne de ses ministres et de son bouffon » s’y agite. L’auteur de Démolir Nisard n’hésite pas non plus à se moquer des fausses valeurs du monde littéraire (Jardin, Angot, Pivot, le prix Goncourt…), considérés comme les symboles de ce qui donne des « allergies » . Mais n’oublie pas non plus de se prendre pour cible : « Cette page quotidienne rencontre un succès qui me vexe. Voudrait-on perfidement me faire savoir que mes travaux d’écritures ne sont lisibles qu’à dose homéopathique ? » Non, mais tout de même, l’Autofictif, c’est drôlement bien !

Culture
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