Le retour en force des paysans

L’agroécologie, nouvelle alliance entre l’agriculture paysanne et l’environnement, s’est constituée en mouvement européen fin 2008. De plus en plus de jeunes ruraux s’y intéressent.

Sophie Chapelle  • 15 janvier 2009 abonné·es

La Borie-Maigre, à une vingtaine de kilo­mètres au sud d’Albi. Comme le nom de ce hameau l’indique, le terrain n’est pas facile : le sous-sol, avec son argile à graviers, a du mal à retenir l’eau. Éleveurs de brebis et disposant de 45 hectares de prairies, Daniel Coutarel et Blandine, son épouse, ont donc appris à adapter leurs méthodes culturales à la situation locale. C’est ainsi qu’ils se sont mis à pratiquer, il y a quelques années, une rotation des cultures plus attentive à la fonction… de l’herbe. « Le principe est le suivant, commente Daniel : déterminer une parcelle témoin, pas trop loin de l’habitat de façon à contrôler la hauteur de la pousse de l’herbe. Dès que celle-ci atteint 7 cm de hauteur, amener les animaux afin qu’ils fassent un premier pâturage. Rester un ou deux jours sur ce pré puis passer à la parcelle suivante. » Un principe de bon sens parmi d’autres, qui, mis bout à bout, permettent d’optimiser la gestion des pâturages et démontrent que la terre a les moyens, si elle est correctement vivifiée, de produire en quantité. « En s’aidant des micro-organismes (vers, microbes) et de plantes (racines, rhizomes), on parvient à créer un sol vivant, à ­accroître la productivité et à économiser l’eau » , confirme l’agronome Robert Merez.

Illustration - Le retour en force des paysans

La préservation de la biodiversité est une des pierres angulaires de l’agroécologie. Réseau semences paysannes

Du 27 au 30 novembre, plus de quatre cents personnes étaient réunies à Albi pour le premier colloque international ­d’agroécologie, intitulé « Nourriture, autonomie et paysannerie ». Venus d’Europe, ­d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie, des chercheurs, des paysans, mais aussi des bâtisseurs, des étudiants, des jardiniers et des citoyens se sont réunis pour réfléchir, échanger, nouer des liens en vue de se renforcer, construire des alternatives et ouvrir des brèches. Avec des travaux pratiques, bien sûr. « Ce que nous mettons en pratique sur notre ferme correspond à ce que nous voulons développer à plus large échelle » , explique Daniel Coutarel aux participants venus découvrir son lieu de vie et de travail.
D’abord, le respect des fondamentaux de l’agriculture biologique : une fertilisation organique, la pratique de rotations longue durée, l’absence de pesticides et d’engrais chimiques. Mais ce que Daniel Coutarel entend par « agroécologie », ou agriculture écologique, est beaucoup plus large et dépasse la simple dimension technique. Le fait ­d’être passé de l’élevage d’une souche de brebis sélectionnée, l’Inra 401, au début des années 1980, à des races de brebis rustiques témoigne ainsi d’une prise de conscience de la nécessité de préserver la diversité des espèces. « Les crises cardiaques des brebis Inra 401 au moment de la mise bas étaient monnaie courante, j’achetais du lait artificiel, et le recours aux antibiotiques était systématique » , se souvient-il. Il fait alors le choix de brebis locales, des Rouges du Roussillon et quelques Caussenardes de garrigue, toutes capables de produire un agneau et de l’alimenter sans assistance. Il diversifie les activités de la ferme avec l’élevage d’une dizaine de vaches Aubrac et la culture de variétés anciennes de blé, seigle et sarrasin.
Cette préservation de la biodiversité est une des pierres angulaires de l’agroécologie. Selon Guy Kastler, membre du Réseau semences paysannes, « la biodiversité est un facteur de résistance aux aléas climatiques, aux maladies ou aux prédateurs qui ne sont jamais fatals à tous les individus s’ils sont différents les uns des autres » . En cela, l’agroécologie pourrait être une réponse à l’insécurité alimentaire véhiculée par les monocultures à grande échelle, et un premier pas vers la souveraineté alimentaire des peuples.
La meunerie fait également partie de la vie quotidienne des Coutarel. Ils vendent leur farine à deux boulangers installés près de la Borie-Maigre. Cette relocalisation de la transformation vaut aussi pour la commercialisation : les Coutarel font uniquement de la vente directe via des marchés et des associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (Amap), qui rapprochent paysans et consommateurs. « La qualité de la relation que nous entretenons avec les clients des Amap est très importante pour nous. Lorsque la fièvre catarrhale a touché mon troupeau, explique Daniel, j’ai organisé en urgence une réunion avec les consommateurs ; tous sont venus, et leur soutien m’a fait du bien. » Pour Blandine, « il est important d’avoir leur recul. Grâce à eux, nous éditons des brochures dans lesquels nous racontons comment nous pratiquons l’agriculture biologique ».
Pour aller plus loin dans la transparence, les Coutarel sont reconnus, accompagnés et contrôlés depuis 1997 par Nature & Progrès, fédération européenne d’agriculture biologique. Elle propose un système participatif de garantie fondé sur le principe que les personnes les plus à même de vérifier si un producteur adopte des pratiques écologiques se trouvent dans son environnement proche : les producteurs voisins déjà sous mention Nature & Progrès, mais aussi les consommateurs qui achètent les produits, et ont avec le paysan un rapport de confiance direct. Pour Sylvia Pérez-Vitoria, de l’association La Ligne d’Horizon, « la certification participative est un moyen de s’autonomiser par rapport au système dominant qui impose ses circuits : elle est la preuve que l’on peut construire des alternatives à côté de chez soi, et que les paysans ont les moyens de le faire ».
La paysannerie a changé, mais, malgré l’urgence, États, experts, organisations internationales et médias dominants choisissent de fermer les yeux et d’intensifier l’agriculture industrielle. L’enjeu de l’agroécologie est bien là : par ses dimensions sociale, agronomique, écologique et politique, elle vise avant tout à permettre aux paysans de ­re­trouver l’autonomie, tant sur le plan alimentaire que vis-à-vis des pouvoirs économique, politique et scientifique, qui entendent contrôler les pratiques et les évolutions de l’agriculture dans le monde. « L’important aujourd’hui, explique l’agroéconomiste François de Ravignan, est de créer des passerelles entre les mouvements des sans-terre indiens, les paysans français en cours d’installation et les paysans d’Oaxaca au Mexique, qui préservent leur base alimentaire avec le système cultural de la milpa. » Et de construire un réseau militant avec les jeunes, dont l’affluence au colloque démontre qu’une agriculture moderne peut prendre modèle sur un savoir-faire accumulé pendant des générations.

Écologie
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