Les juges et le Président

Après diverses attaques contre les juges, Nicolas Sarkozy veut aujourd’hui remplacer les juges d’instruction par des magistrats du parquet, entérinant la dépendance du judiciaire par rapport à l’exécutif.

Ingrid Merckx  • 15 janvier 2009 abonné·es

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Entre Nicolas Sarkozy et les juges, ce n’est pas vraiment une histoire d’amour. ­ « Laxistes ! » , leur jetait-il au lendemain des ­émeutes de 2005. Le juge « doit payer », avait-il déclaré dans le cadre de l’affaire du ­meurtre de Nelly Crémel. Ministre de l’Intérieur, il les avait déjà dans le collimateur. Avec « ces assauts répétés contre les juges, diagnostiquait en 2005 Évelyne Sire-Marin, coprésidente de la Fondation Copernic, il s’agit pour Nicolas Sarkozy de mettre en œuvre sa conception bonapartiste des institutions, où seul compte le pouvoir présidentiel, le Parlement et la justice n’étant que des instruments auxiliaires servant à homologuer les initiatives du gouvernement » . Après le « plaider coupable » de la loi Perben 2 (2004), Nicolas Sarkozy a continué à réduire le rôle de la justice au profit de la police et du parquet. La loi sur la récidive du 10 août 2007 a limité la possibilité des juges d’individualiser et de diminuer les peines. En sus de quoi, le gouvernement a proposé aux juges pour enfants de renoncer « à titre expérimental » à leur double compétence. La tentative a échoué. Mais une circulaire d’orientation budgétaire datée de juin 2008, repositionnant exclusivement au pénal les services de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), devrait faire passer en force, et en douce, ce que les juges n’ont pas accepté d’eux-mêmes.

Illustration - Les juges et le Président

Le 7 janvier, des avocats manifestent au Palais de justice de Paris contre la réforme de la justice. GUAY/AFP

Aujourd’hui, sous couvert d’installer « un habeas corpus à la française », Nicolas Sarkozy s’attaque au juge d’instruction. Soit à celui qui, depuis 1811, est la force indépendante la plus impliquée dans le traitement des affaires criminelles et politico-financières. En effet, le juge d’instruction ne juge pas mais instruit des dossiers pour le tribunal correctionnel, qui le désigne, ou la cour d’assises. Il est saisi par le parquet. En voulant le remplacer par un magistrat du parquet, soit un « juge de l’instruction » sous tutelle du ministère de la Justice et nommé par le chef de ­l’État, Nicolas Sarkozy entérine la dépendance du judiciaire par rapport à l’exécutif. C’est bien ce qui gêne les magistrats et l’opposition. Sans parler de la méthode : sans concertation, sans en passer par le Parlement. « Régression démocratique », s’insurge le Syndicat de la magistrature. « Concentration des pouvoirs », dénonce ­l’Union syndicale des magistrats. Quel équilibre entre les armes de l’accusation et celle de la défense ? Quelles perspec­tives de contre-expertise ? Quelle alternative après un classement sans suite du parquet ? Ancienne garde des Sceaux, Élisabeth Guigou met en garde contre l’affaiblissement de la défense. Même le Nouveau Centre, allié de l’UMP, s’étonne que la proposition de Nicolas Sarkozy ne s’accompagne pas d’une mise en œuvre de l’indépendance totale des magistrats du parquet.
Reste à savoir pourquoi cette nouvelle lubie présidentielle. Renforcer encore le pouvoir exécutif ? Réduire le nombre d’enquêtes sur « les affaires » ? Le Président vient adouber le parquet, à sa solde, et renverser l’adage selon lequel « on ne peut être juge et partie ». Désormais, en France, c’est celui qui accuse qui instruira. Celui qui incrimine qui enquêtera. Celui qui poursuit qui jugera. Avec les pleins pouvoirs. Et soumis au pouvoir suprême.

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