Préparez-vous à l’impact

Bernard Langlois  • 22 janvier 2009 abonné·es

On imagine la tête des passagers quand retentit dans la cabine l’injonction du commandant de bord : « Préparez-vous à l’impact ! »
C’était la semaine dernière, et nous avons tous vu l’aéronef flottant sur Hudson River, sur fond de gratte-ciel, et portant sur ses ailes ses 155 occupants en l’attente des secours. On sait qu’il n’y eut point de dommages humains, hors une jambe cassée. Et que ce miracle n’en est pas un : c’est au sang-froid et à l’expérience du pilote (et de l’équipage avec lui) que tous ces voyageurs en péril doivent d’avoir eu la vie sauve. Puissent-ils s’en souvenir la prochaine fois que les compagnies aériennes mégoteront sur les salaires, la formation ou les temps de récupération du personnel navigant ; et plus généralement sur la sécurité au sol et en l’air : être transporté au bout du monde en quelques heures a un coût qui ne peut être réduit ad libitum . Tous ceux qui ont quelquefois frémi en prenant place dans un coucou hors d’âge aux pneus manifestement usés jusqu’à la corde comprendront de quoi je parle.
Comme une médecine, il y a une aviation commerciale à deux vitesses.

Le rail aussi Comme il y a un transport ferroviaire : une SNCF qui met le paquet sur les lignes de TGV jugées rentables ; et abandonne peu ou prou à leur triste sort bien des dessertes régionales ou locales, quand elle ne les ferme pas tout bonnement.
On comprend sans peine la fatigue et la colère de bien des usagers (pardon : il faut hélas dire maintenant des « clients » …) de la région parisienne qui subissent trop souvent retards et interruptions de trafic intempestifs, quand ils ne se heurtent pas aux grilles fermées d’une gare. On les comprend : qu’ils comprennent aussi le ras-le-bol de cheminots aux conditions de travail dégradées, agressés régulièrement pas des loubards, en butte à la mauvaise humeur des voyageurs et qu’une direction roublarde balade dans des négociations
en trompe-l’œil. Pourtant, l’un dans l’autre, nous avons encore des trains qui nous transportent avec assez de fiabilité et de sécurité, et c’est aux cheminots qu’on le doit ; ça risque fort de ne pas durer encore longtemps et que nous connaissions un jour prochain le sort du rail britannique, privatisé par la droite, ce que le grand progressiste Tony Blair se garda bien de remettre en question : retards ubuesques, dysfonctionnements en série, dégradations innommables – et jusqu’aux catastrophes ferroviaires (plusieurs dizaines de morts) qui obligèrent l’État à se réengager en partie – toujours selon l’excellent principe de la socialisation des pertes après que la privatisation des profits eut joué son rôle nourricier auprès des actionnaires : le capitalisme est une grande chose !
Alors quand notre ridicule omniprésident ne trouve rien de mieux à dire que de déclarer la guerre au syndicat SUD-Rail (le plus combatif, de loin), on est tenté de lui rétorquer : « Préparez-vous à l’impact ! »

Répit à Gaza Les tracts balancés sur Gaza avant que ne s’abattent les bombes au phosphore ou à l’uranium appauvri (on sait depuis la première guerre du Golfe que celui-ci est utilisé pour accroître la pénétration des obus ; de là, peut-être, le nom de « plomb durci » ?), ces tracts donc, à leur cynique manière, ne disaient pas autre chose : « Préparez-vous à l’impact ! » Le prévenant message n’ayant d’autre but que d’affoler un peu plus une population civile qui n’avait nulle part où aller !
Voici donc venue la trêve, qui durera ce qu’elle durera, mais qui est toujours un répit bon à prendre pour la population exténuée de la bande de Gaza. Rien n’est réglé, évidemment : l’agression israélienne dans sa violence barbare n’aura réussi qu’à générer une nouvelle éclosion de « martyrs » prêts à se faire sauter pour la plus grande gloire d’Allah en entraînant le plus d’Israéliens (voire de juifs, les barbus ne sont pas regardants…) possible dans la mort. Qui peut douter de l’enchaînement des barbaries, qui peut croire à une paix durable et à la cohabitation paisible un jour prochain de deux peuples dotés d’États reconnus et viables sur la terre palestinienne ? Ce scénario bisounours auquel s’accrochent encore chez nous quelques fieffés hypocrites, qui entraîne bien des braves gens « à sauter sur leurs chaises comme des cabris » en clamant : « Genève, Genève » , n’a pas une once de crédibilité. Israël ne veut pas la paix. Israël n’a jamais voulu la paix, pas plus le jour de sa création en 1948 que par la suite. Le projet sioniste est et a été depuis toujours l’installation d’un État juif, ouvert aux juifs du monde entier conviés à le rejoindre, sur cette terre dite promise que Jéhovah attribua jadis aux enfants de Jacob, et qui s’étend bien évidemment de la Méditerranée au Jourdain (voire au-delà, jusqu’à l’Euphrate, pour les plus cinglés), incluant ces territoires occupés qu’ils (les sionistes) appellent la Judée et la Samarie, du nom des provinces du mythique royaume.
Dans cet État idéal, pas de place pour les Arabes, sinon comme citoyens de seconde zone, qu’on tolère parce qu’on ne peut tout de même pas tous les massacrer.

Langue fourchue Un projet : Eretz, le grand Israël ; un slogan : l’an prochain à Jérusalem ; une stratégie : faire croire par la voix de ses diplomates (comme ce sinistre Shek, qui se répand partout) qu’on est un État pacifique et de bonne volonté (outre une démocratie correcte : et c’est vrai qu’il existe en Israël des élections libres et une presse qui l’est aussi), et poursuivre dans le même temps et au moindre prétexte une politique d’agression et de colonisation visant à restreindre l’espace vital des populations autochtones jusqu’à une peau de chagrin qui ne leur laisse plus guère d’autre choix que de s’exiler (quand elles peuvent) ou de végéter (quand elles survivent). Et cela dure depuis Deir Yassine (avril 1948). Comme (presque) tout le monde, j’ai « marché » dans la propagande israélienne : j’ai cru à la fable du petit David se battant seul contre tous avec sa pauvre petite fronde ; ou (autre image moins biblique mais tout aussi valable pour ces admirateurs du Far West !), celle du chariot autour duquel les Peaux-Rouges arabes vociférants font la danse du scalp. J’avais des excuses, j’étais jeune… J’ai appris depuis à reconnaître l’agresseur de l’agressé, le bourreau des victimes. Comme (presque) tout le monde, j’ai cru, après Oslo (1993), à un possible accord de paix : l’assassinat de Rabin par un juif fanatique m’a guéri des illusions. J’ai compris qu’un pays qui, dans un même temps, négociait sur le thème « la paix contre les territoires » , et truffait, mitait frénétiquement ces mêmes territoires de nouvelles colonies, de nouveaux contournements, de nouveaux murs, de nouvelles garnisons, que ce pays, décidément, avait la langue fourchue.
Il n’est que de regarder les cartes, les vraies, celles où apparaissent les zones juives dans une Cisjordanie censée devenir le futur État palestinien : vous avez dit bantoustans, apartheid, réserves indiennes ? Sale antisémite que vous êtes !

En attendant Barack Alors on nous dit, avec l’apparence de la candeur : mais pourquoi vous focalisez-vous sur un conflit qui, au fond, fait bien moins de morts que tant d’autres – en Afrique ou ailleurs ? Certains font l’âne pour avoir du son : « Ah ! Un mort palestinien vaut plus à vos yeux qu’un mort darfourien, ou tutsi ! »
Bien sûr que non. Mauvais procès. Chacun pèse le même poids de souffrance et d’injustice. Mais c’est l’affrontement israélo-arabe lui-même qui pèse plus que tout autre. Parce qu’il mêle tout à la fois la politique et la religion sur une zone de fracture qui est un baril de poudre ; parce qu’il est à l’épicentre de cette guerre des civilisations qui monte et qui va tous nous entraîner dans le désastre ; parce qu’il oppose des deux côtés des gens qui croient plus que tous autres dans l’Histoire qu’ils ont Dieu à leur côté ; parce que dans un monde qui a globalement liquidé (même mal, même très mal) ses guerres coloniales, c’est une ultime situation coloniale qui prévaut en Palestine ; parce qu’il y a l’arrogance d’un côté et l’humiliation de l’autre ; parce qu’Israël est une sorte de porte-avions occidental immobile fiché en terre arabe et musulmane, et que c’est une véritable provocation. Parce que… On n’en finirait pas de recenser tout ce qui fait de ce conflit en apparence limité LE conflit qui peut (qui va ?) entraîner le monde dans une belle guerre définitive.
Ah, mais suis-je sot ! Tout va changer puisque saint Barack Obama prend enfin ses fonctions. Et il est vrai que (le petit président convulsif à nous qu’on a peut bien jouer les mouches du coche) seuls les États-Unis peuvent tenter de ramener à un peu d’ordre et de raison l’État voyou qu’ils protègent, arment et financent depuis si longtemps.
Ah, Barack ! Que ne lui prête-t-on comme qualités, comme bonne volonté, comme pouvoirs ! Sur Israël, il serait surprenant qu’il change la donne, il est entouré de zélateurs de Tel-Aviv. Sur tout le reste, on l’attend sur tant de fronts, on l’appelle à tant d’urgences, on lui présente tant d’écrouelles à guérir que la déception générale est déjà programmée, et pire encore peut-être.
Nous comprendrons quand nous l’entendrons dire : « Ici votre commandant de bord. Tous les moteurs sont en feu. Nous allons tenter un atterrissage de fortune. Préparez-vous à l’impact ! »
En attendant, suivez mon conseil : essayez l’humour, pour ne pas tomber dans la déprime.
En lisant par exemple la jubilatoire satire de Patrick Rambaud, qui, dans la veine de son presque homonyme Ribaud (lequel fit jadis les beaux jours du Canard avec son feuilleton « La Cour, chronique du Royaume »), narre aujourd’hui « les dérives monomaniaques de Notre Prince Indubitable » , pour ne prendre qu’une appellation par lui imaginée, parmi des dizaines d’autres, pour qualifier le présent monarque [[
Deuxième Chronique du règne de Nicolas Ier, Patrick Rambaud, Grasset, 180 p., 13,50 euros.]]. Puis en vous régalant du dernier Plantu, pas moins talentueux, pas moins rosse [^2].
Se dépêcher de rire, n’est-ce pas ? Avant que d’avoir à pleurer. De Beaumarchais, je crois, qui mettait si bien le conseil en pratique.

[^2]: Un boulevard pour Sarko, Plantu, Seuil, 160 p., 16,50 euros.

Edito Bernard Langlois
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