Écriture et quincaillerie

Dans « Le Commerce
du père », Patrice Robin
se réconcilie autour
des mots avec son père disparu.

Christophe Kantcheff  • 26 février 2009 abonné·es

Croyait-on possible de lire dans les carnets de commerce d’un quincaillier des fragments de littérature ? C’est pourtant ce que recèle le Commerce du père, de Patrice Robin. Les carnets sont ceux de son père, quincaillier dans les Deux-Sèvres pendant trente ans, que l’auteur a retrouvés par hasard et qu’il explore dans la dernière partie de son livre. On peut y lire, outre des phrases plus ou moins adroites et communes, des listes de commandes de « paniers de Poitou, faucilles Cholet, serpes à tiges, faux Mouette, liens à bœufs, brosses à crinière Le Tigre, mousquetons à touret, vilebrequins à mandrin, étrilles Stella… » qui ont une incontestable résonance poétique.

Soit. Mais ces carnets restent fort peu intimes et pourraient apparaître anecdotiques. Pourquoi la lecture qu’en fait le fils en vient-elle à être chargée d’une si grande émotion ?
À dire vrai, des dessins, des photos ou tout autre chose qui ne serait pas de l’écrit n’auraient pas le même effet. Car il s’agit bien de cela : avec ces carnets, Patrice Robin tient dans ses mains les « livres » de son père, alors que celui-ci est mort avant de pouvoir connaître ceux de son fils écrivain. Plus douloureux encore : le père s’est désintéressé des activités de son fils, et réprouvait silencieusement que celui-ci se contente de petits boulots, alors que lui-même avait « réussi ».

Ainsi, comme c’était probable, « le commerce du père » est à prendre dans son double sens : la quincaillerie, où travaillait aussi la mère de l’auteur, ainsi que le type de relations entretenues avec cet homme. Or, sur ce qui s’est avéré être une nécessité absolue pour Patrice Robin, c’est-à-dire l’écriture, et sur ses difficultés matérielles et psychologiques, régnait l’omerta.
C’est cette époque que raconte Patrice Robin dans la première partie de son livre. Comment il a jonglé entre les contrats à durée déterminée et le chômage, sauvegardant ainsi du temps pour écrire, au prix de la précarisation sociale. Mais aussi les périodes de travail enthousiaste suivies de douches froides, comme celle occasionnée par la lettre d’une écrivaine admirée mais non nommée (on devine qu’il s’agit d’Annie Ernaux), dont les conseils justes et francs refroidissent l’emballement du jeune auteur croyant dans le manuscrit qu’il lui a envoyé. En tout : treize années d’obstination, conclues enfin par la réponse positive d’un éditeur, après bien des refus. Ce récit a une valeur emblématique sur les débuts de la plupart des apprentis écrivains. Mais il donne aussi à voir ce que de sa vie Patrice Robin a fait dans ses premiers manuscrits, publiés ou non, dont il raconte les intrigues. Il y aurait là une étude passionnante à faire sur l’usage de la fiction dans ces « romans autobiographiques ».

Le Commerce du père est un beau livre de réconciliation (comme l’était déjà Matthieu disparaî t [POL, 2004]). Non que l’amour se serait évanoui entre le fils et le père, mort d’un cancer avant la publication du premier livre de Patrice Robin. Mais il y a quelque chose de l’ordre de la transmission impossible qui enfin se réalise quand l’auteur comble les pages laissées blanches dans l’agenda de son père. Il reconstitue ce qui s’est passé pendant ces quelques jours hors commerce dans la vie de son père, et qui s’est terminé par une longue et magnifique marche nocturne. Patrice Robin redonne vie à cet épisode à proprement parler extraordinaire. Et ce, avec ce que son père a préféré ignorer : son talent d’écrivain.

Culture
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