La loi qui va mettre à mal votre santé

En discussion à l’Assemblée nationale, le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires »
ne répond pas à la situation dégradée du système de soins. Cinq professionnels expliquent pourquoi.

Thierry Brun  et  Pauline Graulle  • 12 février 2009
Partager :

Appauvrissement de l’hôpital public orchestré par les politiques actuelles, déficits, réductions drastiques des postes, soins à flux tendu à l’origine d’une mauvaise prise en charge… Les acteurs de la santé témoignent de la situation catastrophique de l’ensemble de la Sécurité sociale. Une situation qui sera renforcée par le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), disent-ils. Présenté par la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, comme la plus importante réforme administrative depuis ces vingt dernières années, le projet de loi est en débat à l’Assemblée nationale depuis le 10 février, avec pour objectif de « mieux soigner », tout en restaurant « l’équilibre financier du système de santé ». Le projet porté par Roselyne Bachelot met en fait une touche finale à la « destruction de la Sécurité sociale, des hôpitaux et du système de santé », estiment syndicats et personnels hospitaliers. Pire encore, il touche aussi le secteur médico-social et les caisses régionales d’assurance-maladie.

« Soigner les gens dans un couloir, ça coûte moins cher ! »
Loïc Pen, 40 ans, médecin urgentiste à l’hôpital de Creil, dans l’Oise (444 lits).

L’hôpital de Creil est en déficit très grave et se trouve donc condamné à faire des économies tous azimuts. On utilise du matériel de récup. Quant aux médicaments, c’est la course au moins cher, donc ils changent très fréquemment. C’est l’enfer pour les infirmières, qui prennent un temps fou pour s’y repérer dans les boîtes de médicaments et risquent des erreurs…

Aux urgences, nous sommes 15 médecins alors que nous devrions être 23. Nous sommes épuisés à force d’enchaîner les heures supplémentaires. Des dizaines de patients attendent dans les couloirs pendant des heures, et certains, intubés, dans la salle de réanimation des urgences. Finalement, nous avons été contraints d’organiser un service d’hospitalisation sauvage dans les urgences, ce qui, si l’on suit la logique cynique de la tarification à l’activité (T2A), est financièrement avantageux : hospitaliser les gens dans un couloir est plus rentable !

En juillet 2008, l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) a décidé de fusionner l’hôpital de Creil et celui de Senlis. Cette fusion aurait dû être effective au 31 décembre, mais c’était sans compter la levée de boucliers générale ! Du coup, le projet a été annulé… ou plutôt reporté, en attendant le vote de la loi Bachelot pour que la fusion devienne obligatoire.

« La Sécu n’aura plus son autonomie »
Philippe de Gaudusson, chargé des questions hospitalières à la caisse régionale d’assurance-maladie Midi-Pyrénées, Toulouse.

Avec les Agences régionales de santé (ARS), on franchit une étape supplémentaire de la fusion des organismes chargés de la politique de santé dans les régions et les départements. Nous sommes très hostiles au fait de perdre notre identité pour aller nous fondre dans une structure d’État. On est certains qu’on perdra notre liberté d’appréciation sur la mise en place des politiques régionales. L’opposition est très majoritaire parmi les personnels de la Cram. Notre crainte est que la Sécu n’aura plus son autonomie ni son mot à dire, car la gestion de la santé sera totalement étatisée. La nouveauté pour nous consiste à proposer des non-remplacements de postes aux hôpitaux qui contractualisent des plans de retour à l’équilibre. La politique des ARS, c’est de continuer cette tendance, de toujours restructurer l’offre de soins. Il est aussi acté que les coopérations seront renforcées entre le privé et le public, notamment pour les urgences. En ce qui concerne la chirurgie, qui est assurée majoritairement par le privé, les services d’hôpitaux publics sont menacés de fermeture parce que le système est organisé de telle manière que les praticiens ont la tentation de partir dans le privé.

« La devise de la direction, c’est “l’équilibre budgétaire” »
Catherine Pierrard, 47 ans, sage-femme à l’hôpital de Lourdes dans les Hautes-Pyrénées (357 lits).

En 2007, on a commencé à nous dire que l’hôpital de Lourdes devait faire des économies. « Le but de l’hôpital est l’équilibre budgétaire », est devenu la devise de la direction. Depuis, les projets pour réaliser des économies se sont enchaînés. Les plus invraisemblables – par exemple, l’idée de faire conduire les camions des services d’urgence (Smur) par les aides-soignants – ont déclenché des tollés et ont été abandonnés. Reste que 14 lits ont été fermés l’an dernier : la capacité d’hospitalisation en chirurgie a été réduite de moitié, les explorations fonctionnelles de cardiologie sont parties à l’hôpital de Tarbes…

Selon les vœux de l’ARH, le service de réanimation est menacé de disparaître, ce qui condamnerait la maternité – que nous avions déjà sauvée de la fermeture il y a deux ans –, puisque nous n’aurions plus de réanimateur de garde la nuit. Ce serait une catastrophe : des femmes font déjà trois quarts d’heures de route, et certaines accouchent 20 minutes après leur arrivée. La fusion avec l’hôpital de Tarbes, lui aussi en déficit et qui se trouve à une dizaine de kilomètres, va être accélérée par la loi HPST.

« Une prise de contrôle programmée du médico-social »
André Giral, 54 ans, éducateur dans un institut médico-éducatif à Montpellier.
L’institut est géré par une association de parents pour l’enfance inadaptée (Apei) du grand Montpellier, et il chapeaute plusieurs établissements. Il est relativement récent parce qu’il est le produit de la fusion de plusieurs associations, une pratique qui s’accentuera avec les agences régionales de santé (ARS), puisque le secteur médico-social va passer sous la coupe de ces agences. Il y a pourtant un manque de places absolument catastrophique dans certains départements, dans l’Hérault particulièrement. Les services ne suivent pas. On a aussi une déqualification des personnels, un manque de services, des besoins de prise en charge médico-sociale qui ne sont pas couverts. La prise de contrôle programmée par les ARS est destinée à mettre en œuvre des politiques de marchandisation. Les responsables patronaux associatifs me l’ont dit : ils se préparent au choc de la confrontation avec le secteur privé lucratif. On rompt avec une logique d’offre de services médico-sociaux et de santé au profit d’une logique de résultats.

« Les généralistes ne veulent pas s’installer dans des déserts médicaux »
Patrick Dubreil, 43 ans, président du Syndicat de la médecine générale et médecin généraliste à Moisdon-la-Rivière (Loire-Atlantique).
Dans le cas de la médecine de ville, les dépassements d’honoraires seront généralisés, avec l’instauration d’un secteur optionnel. Le gouvernement a également décidé de ne rembourser qu’à hauteur de 30 % les personnes n’ayant pas choisi de médecin traitant. Quant au problème de la liberté d’installation, il n’est en rien réglé par la loi Bachelot. Les jeunes médecins n’ont que faire des incitations financières et des taxations. Ce qu’ils veulent, c’est s’installer dans des zones où les services publics sont toujours présents, où ils peuvent travailler avec un hôpital de proximité qui a des lits d’hospitalisation pour accueillir les malades qu’ils voient en consultation. Pas dans les déserts médicaux qui vont s’étendre à cause de la réorganisation territoriale voulue par Roselyne Bachelot ! Quant à la santé publique, c’est la grande absente de cette loi.

Temps de lecture : 7 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don