La vie en l’air

Denis Lachaud brode
une rencontre amoureuse sur le motif du crash aérien en combinant les modes d’expression.

Ingrid Merckx  • 19 février 2009 abonné·es

Survivre à une catastrophe aérienne immunise-t-il contre la peur de l’avion ? Ou, comme l’explique ce mathématicien aux deux personnages du dernier roman de Denis Lachaud, la probabilité d’être victime une première fois d’un crash, même si elle est infime, n’annule pas la possibilité d’en être victime une deuxième. Ou une troisième. Prenez l’avion n’est pas une démonstration sur les lois de la probabilité ou une application thérapeutique sur les crashs. Mais plutôt une construction, comme seule la fiction en autorise peut-être, à partir du motif de l’avion qui s’écrase, métaphore de la peur de mourir et d’une réflexion sur le sens à donner à sa vie.

Lindsay et Emmanuel sont les deux survivants quadragénaires d’un crash qui a fait 349 morts dans une forêt tropicale. Ils ne s’étaient jamais vus. Ne se sont pas parlé. Le roman démarre juste après l’impact. C’est Lindsay qui raconte : le mollet déchiré, l’accoudoir en travers du ventre, et l’arrivée de ce « Cary Grant jeune » qui l’emporte loin de la carlingue pendant que la chair saigne ou cuit autour. Ils marchent des heures « sur trois jambes » avant de s’effondrer. Emmanuel, Français au prénom d’ange, sombre dans le coma et se réveillera sans souvenir de la catastrophe. C’est Lindsay, le comédien gallois qui, tombé amoureux de son sauveur, lié à lui à jamais par leur étreinte « à la vie à la mort » , devra inventer les mots pour dire ce qu’il a vu. Écrire l’histoire. Leur histoire.
Il n’y a pas de hasard dans ce roman : Emmanuel, menuisier, aérodromophobe comme 10 % de la population, venait de s’offrir un « stage de déconditionnement psychologique pour les phobiques du vol aérien » . Dans la foulée, il a embarqué sur le premier vol en direction d’une île. Lindsay, lui, oubliait en vacances un rôle dans une pièce portant sur un crash, d’un auteur mort peu après dans un crash.

Ils étaient faits pour se rencontrer. Tomber ensemble. Se sauver ensemble. Mais Denis Lachaud va au-delà de cette arabesque pas banale sur une rencontre amoureuse en coup de dés : passant d’une intériorité à l’autre, du dialogue au monologue, du blog d’Emmanuel à la pièce de Lindsay, il combine les modes d’expression pour échafauder une série de questionnements du type : « Peut-on vivre sans baigner dans l’insouciance ? » Comment se lève-t-on chaque matin sous le poids de la mort ? Comment dépasser ses phobies, névroses, angoisses ? Où « prendre l’avion » pourrait accéder au sens de « prendre le train en marche », « prendre conscience », et « prendre la vie à bras-le-corps ». Et « survivre » à celui de ­« sur-vivre »…

Culture
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