Numericable ne lâche pas prise

Les salariés franciliens de l’opérateur Numericable, rejoints par des militants associatifs, entament leur septième semaine de grève. Ils dénoncent un « plan social déguisé ».

Xavier Frison  • 26 février 2009
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Numericable ne lâche pas prise

On ne se refait pas, même grimé de frais et affublé d’un nouveau nom. Après avoir copieusement ponctionné ses clients, à l’époque où la société s’appelait Noos, l’opérateur de télécommunication Numericable s’en prend désormais à ses salariés. En grève depuis le 5 janvier, une quarantaine d’entre eux, en majorité des vendeurs à domicile d’Île-de-France, défendent, entre autres [revendications->http://collectifvad.centerblog.net
], l’abandon d’un avenant au contrat de travail contesté et l’arrêt des procédures de licenciement engagées, considérées comme « un plan social déguisé » par les salariés.

Illustration - Numericable ne lâche pas prise

Pierre Danon, PDG de Numericable. Piermont/AFP

Soumis à « de nombreuses pressions », ces derniers ont été fermement invités à signer un avenant en juin 2008. Celui-ci stipule notamment que l’intéressement versé aux vendeurs en porte-à-porte, qui représente environ les deux tiers de leur rémunération, ne sera désormais versé qu’au vingtième contrat signé, contre la commission au contrat en usage jusqu’alors. « Ça veut dire que si vous faites 19 contrats dans le mois, vous ne touchez rien. Et si on n’est affecté qu’à du porte-à-porte, sans les animations commerciales où il est plus facile de vendre, comme c’est arrivé à certains qui ont refusé de signer l’avenant, il est impossible de faire 20 contrats » , explique Asma, 21 ans, un bébé, onze mois d’ancienneté et gréviste du premier jour. « On nous met clairement des bâtons dans les roues pour nous inciter à partir, tout ça est planifié » , estime Fatima, 21 ans elle aussi, salariée depuis un an. Autre aspect de l’avenant qui ulcère les salariés, le « décommissionnement » annule le bonus lié à un contrat signé, au cas où le client ne payerait pas ses factures, pour une raison ou une autre.

Champs-sur-Marne, en Seine-et-Marne. Hors la présence d’une dizaine de vigiles, l’entrée du siège est déserte en cette matinée du jeudi 19 février, jour de comité d’entreprise. Soixante-douze heures plus tôt, le parking extérieur connaissait une tout autre effervescence. Selon de nombreux témoins, dont des membres du collectif des Désobéissants, qui a rejoint le mouvement, le PDG de Numericable, Pierre Danon, a tenté de filer à l’anglaise, recroquevillé sur la banquette arrière d’un puissant véhicule conduit pied au plancher par son chauffeur. « Alors que la voiture semblait ralentir, le chauffeur a brutalement réaccéléré, confie Abdelkrim, porte-parole des grévistes. J’ai juste eu le temps de me déporter pour éviter l’impact de justesse. » Patrick Bérol n’a pas eu cette chance. Il s’en tire avec une jambe écrasée, brisée en plusieurs morceaux. Pendant que la voiture continue sa course folle, « la direction fait fermer les volets pour empêcher les salariés de regarder la scène » , témoigne Xavier Renou, des Désobéissants. Depuis sa chambre d’hôpital, Patrick Bérol ne décolère pas : « Je vais me battre et porter plainte pour que cet acte ne reste pas impuni. »

Renseignements pris, le comité d’entreprise a été délocalisé au Novotel du centre commercial Arcades, à Noisy-le-Grand. L’endroit grouille de CRS : en fait, des clients de l’hôtel. Cocasse, car un étage au-dessus, une quarantaine de manifestants font le pied de grue devant la salle accueillant le comité d’entreprise. Assis en cercle, grévistes, désobéissants et étudiants venus soutenir le mouvement jouent aux cartes, sous le regard de deux vigiles. D’autres négocient la présence de grévistes à la réunion ou manient l’hygiaphone. « T’imagines, la grève n’est même pas à l’ordre du jour du comité ! » , enragent les salariés en lutte, âgés de 20 à 35 ans. Tous attendent la sortie des participants avec impatience. À 12 h 30, les voilà, escortés par des policiers en civil : en raison du tintamarre ambiant, le comité d’entreprise est annulé. Tollé dans les rangs des salariés, marris de n’avoir pu faire entendre leur voix. « Il y a 40 grévistes ici. Une pétition de salariés du Nord a récolté 33 signatures, une autre en Île-de-France a réuni 54 signatures. En plus, il y a une dizaine de salariés en arrêt de travail pour harcèlement moral ou dépression. Nous, on représente tous ces gens-là », résume Abdelkrim, lui aussi vendeur à domicile, avec trois ans d’ancienneté. « Nos contrats de travail ne sont plus respectés. Numericable écrase ses salariés, au propre comme au figuré », lance-t-il en référence à l’épisode de la jambe cassée.

Happés à la réception, sous les ironiques applaudissements des grévistes, les dirigeants de Numericable donnent leur version des faits. Sur l’absence de dialogue : « La configuration des interlocuteurs grévistes change régulièrement, cela complique beaucoup les choses. On a pourtant essayé de les recevoir à plusieurs reprises » , argumente sans convaincre Valérie Luciani, directrice des ressources humaines de Numericable. Sur l’avenant au contrat de travail : « Nous sommes prêts à créer une commission, avec des vendeurs à domicile, pour améliorer leurs conditions de travail. » Sur les pressions subies par les salariés : « Nous devons faire de gros progrès en termes de management. » Sur le rôle néfaste des fonds d’investissement dans le capital de Numericable : « On souhaite avant tout satisfaire nos clients, faire des ventes qui fonctionnent et qui satisfassent aussi nos collaborateurs. » Sur ces entrefaites, Valérie Luciani et deux autres membres de la direction quittent le parvis de l’hôtel. Alexandre, un vendeur de 27 ans, contemple le spectacle d’un œil désabusé et susurre : « *C’est ça la direction de Numericable… »
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