Procès

Bernard Langlois  • 12 février 2009 abonné·es

Le joueur de flûte Nicolas Sarkozy, dans son numéro de jeudi dernier, m’a fait penser une fois encore au joueur de flûte de Hamelin, héros d’une des plus célèbres légendes germaniques. On sait que ce « preneur de rats » , après avoir débarrassé la ville des hordes de rongeurs qui l’envahissaient, s’estimant mal payé par des bourgeois radins, entreprit de se venger en entraînant la jeunesse de la ville, sous le charme de son instrument, jusqu’au fleuve, où elle se noya. Comme avant elle, les rats.
Sarko sait jouer de la flûte comme personne. Sa musique démagogique, entraînant la foule des électeurs, l’a hissé sur le trône. Au bord du fleuve pourtant, où nombreux sont ceux qui déjà se débattent pour échapper à la noyade, le charme a cessé d’opérer. Le flûtiste balade encore son monde le temps d’une émission tout à sa main ; mais dès le générique de fin, on se demande : à quoi bon ce numéro de bateleur, qu’avait-il donc de nouveau à nous dire ? Réponse : rien. Ou plutôt si, une chose concrète, un nouveau cadeau aux patrons, la suppression de la taxe professionnelle. Une décision qui plonge les collectivités locales dans des abîmes de perplexité : avec quoi compenser cette perte sèche pour leurs finances ?
Allons, les contribuables, un peu d’imagination !

Faux procès Est-ce la faute de nos trop gentils confrères si rien ne vient perturber le déroulé des communications présidentielles ? Pas de faux procès : ils n’ont guère d’autre solution que de servir de faire-valoir. La mise en scène imposée, dans sa solennité kitch, ne laisse guère d’échappatoire, hors celle de refuser – ce qui serait assez mal vu.
Mais, fait-on remarquer, c’est l’Élysée qui a choisi les interlocuteurs du Président, ce sont là des mœurs de république bananière ! Certes ! Mais où a-t-on vu que Sarkozy innove ? C’est ainsi, ne vous déplaise, depuis que la télévision existe. En gros, depuis Charles de Gaulle et son compère Michel Droit ( « le fier Sicourbe » , comme l’appelait Le Canard , aussi pugnace interviewer qu’adroit chasseur de gros gibier. Paix à ses cendres). C’est toujours au Château qu’on a choisi le jour, l’heure, les modalités des adresses du Prince à ses sujets ; et les noms des chambellans qui auraient l’honneur de lui tenir le crachoir. Ne le répétez pas : il est même un chef de l’État qui a poussé l’audace jusqu’à se faire interroger par deux journalistes du beau sexe qui étaient à la ville les épouses de deux de ses ministres. Non ? Si !
Tonton, pourquoi tu tousses plus ?

Vaches sacrées L’une des deux est en ce moment dans le collimateur des médias – enfin, ceux qui ne pratiquent pas le politiquement correct, nous sommes tout de même encore quelques-uns. Par ricochet, la cible principale étant son fringant époux. La reine Christine, comme on l’appelait du temps de sa splendeur, est toujours femme de ministre, le même. Sauf que celui-ci a changé d’attributions ; comme de camp politique : in extremis , quand s’est dessinée l’issue du duel présidentiel. Ainsi des mouches qui changent d’âne : l’important est qu’on puisse continuer à sucer. Ménélas-Kouchner (l’époux de la reine, poux de la reine) fait l’objet d’une charge virulente, menée simultanément par deux confrères de Bakchich (Stéphane Beau et Xavier Monnier) et par l’écrivain sniper indépendant bien connu, Pierre Péan. C’est surtout le bouquin de ce dernier, porté par l’hebdomadaire Marianne – qui en a publié les bonnes feuilles –, qui fait du potin dans le landerneau politico-humanitaro-médiatique. Réputation de son auteur oblige, même s’il écrit parfois à la truelle [^2]. Pour l’essentiel, et en attendant des développements qui ne manqueront pas de venir (quand on tire sur une bonne ficelle, il arrive qu’on dévide toute la pelote), on apprend avec force précisions et détails ce dont on était convaincu depuis lurette sans en avoir vraiment la preuve : Kouchner est nettement plus intéressé par le pognon que par le sort des peuples déshérités (et n’hésite pas à monnayer ses talents auprès des pires dictateurs de la Françafrique) ; Christine Ockrent, sa femme, est moins journaliste que femme d’affaires (on dit d’elle : « femme de ménages » , eu égard aux nombreuses prestations privées richement rémunérées qui s’ajoutent à des émoluments officiels pourtant fort grassouillets) ; et ils forment ensemble – surnom : « les Thénardier »  – « une PME à l’ombre de la République » selon Bakchich, qui commente : « Rarement, le mélange des genres a atteint de tels sommets ! »
Sale temps pour les vaches sacrées !

L’argument qui tue Je n’entre pas dans les détails, qui sont depuis plus de quinze jours sur la place publique ; si vous venez tout juste de débarquer du Vendée Globe, je vous conseille de vous reporter aux sites de Marianne et de Bakchich , en pointe sur le sujet. Je ne m’attarderai pas non plus sur l’aspect politique de l’affaire, et notamment sur les appréciations divergentes que portent Péan et Kouchner sur le génocide rwandais : j’ai envie sur ce point de les renvoyer dos-à-dos (je crois à la complicité française par connivence avec le Hutu-Power et, sans adhérer à la thèse du « double génocide » , je ne crois pas que Kagamé soit une blanche colombe innocente…).

Je voudrais juste souligner à quel point me dégoûte le style de défense que s’est choisi M. K. en symbiose avec ses alliés. On attendait en effet que le ministre étranger aux Affaires (sauf aux siennes) réponde des faits précis qui lui sont reprochés : ses liens avec Bongo, avec Sassou, d’autres encore ; les amis encombrants qui gravitent dans son orbite ; les activités de sa femme à la tête de l’audiovisuel français à destination de l’étranger et l’épuration qu’elle y mène, dont sont étrangement victimes des journalistes critiques du ministre son mari… Il y avait, somme toute, bien des choses à dire pour tenter de redorer un blason désormais terni (il n’est pour le moment pas question d’autre chose, la justice n’a pas maille à l’affaire), une réputation de preux chevalier qui tourne au tire-laine après que déjà l’homme de gauche ait revêtu la casaque du néo-con. Bref, plaider le dossier. Il le fait à peine. Au lieu de quoi, et avec toute l’orchestration des habitués de l’argument qui tue (les Val, BHL, Adler, j’en oublie, et même Schneidermann s’y est mis, qu’on n’attendait pas là), c’est un procès en antisémitisme qui est fait à Péan [^3]. Le prétexte ? Péan utilise à l’endroit de K. le qualificatif de « cosmopolite »  : ce qui renvoie, hurle celui-ci, « aux nostalgiques des années trente et quarante, aux révisionnistes d’hier et d’aujourd’hui… » . Le mot « antisémite » n’est pas prononcé, mais tout le monde a compris : c’est parce qu’il est juif que le médecin sans vergogne est pris à partie par un auteur qui est forcément à ranger dans le rayon des infréquentables judéophobes. Il est des mots, voyez-vous, que vous n’avez pas le droit d’utiliser, et « cosmopolite » en est un. Même si Bernard-Henri Lévy se l’applique parfois à lui-même, pour mettre en valeur son « universalisme » . Oui, mais c’est pas pareil, lui, il est juif, BHL, il a le droit ! Ah, pardon !

Puant Il paraît que ce vieux laïque républicain bon teint de Péan (je le qualifierai volontiers de « gaullo-mitterrandien », voyez, pas vraiment un disciple de Faurisson) est bouleversé par cette accusation infamante qui vise à rien de moins que la mort sociale de celui qui en est sali. Rappelons que dans deux procès récents, dont un où le puant BHL (« puant », j’ai le droit ? Ça veut dire, au sens figuré, « imbu de lui-même, fat, égocentrique » , tout ça) est venu faire la roue ( « Je n’aurais, pour rien au monde, laissé tomber mon ami Philippe Val » , pardi ! Asinus asinum fricat) [^4], c’est l’ami Siné qui était sous la douche, lui aussi était mortifié. Dans le premier procès, que le vieux Bob intentait au journaliste chafouin qui s’était permis de qualifier sur RTL sa « zone » de Charlie d’ « article antisémite dans un journal qui ne l’est pas » , provoquant son renvoi de l’hebdo soi-disant satirique, l’accusé (Sarkolovitch, un nom comme ça) a osé plaider que le fait de dire qu’un article est antisémite n’est pas une accusation d’antisémitisme contre son auteur, plus hypocrite tu meurs ! On verra si le tribunal marche dans cette défense pourrie, en tout cas le procureur a requis la relaxe ! Dans le second procès, celui où paradait BHL, c’est la Licra qui poursuivait Siné, et là, c’est ce dernier qui, si le tribunal suit le réquisitoire, devrait bénéficier de la relaxe. Tout ça pour dire à Péan comme à Bob Siné : bienvenue au club des pestiférés, les gars ! Mais ne vous mettez plus la rate au court-bouillon : à force de l’utiliser à tort et à travers, l’arme de l’accusation d’antisémitisme s’est fichtrement émoussée, et ceux qui en abusent commencent à s’attirer de vertes contre-attaques : par exemple, cette semaine, et contre Kouchner, les papiers bien torchés de Szafran et de Cohen dans Marianne [^5].
Cohen, Szafran… Seraient pas un peu antijuifs, ces deux-là ?

On rappellera qui est l’avocat de Charlie-Hebdo  : Richard Malka (écurie Kiejman, l’avocat de Kouchner), qui est aussi, parce que rien n’est simple, le coauteur, avec Philippe Cohen, d’une BD très anti-Sarko (la Face karchée…) et qui est encore l’avocat de la « banque des banques » luxembourgeoises, Clearstream, laquelle poursuit notre excellent confrère Denis Robert de sa vindicte inextinguible. En vous invitant une fois encore à l’aider (Denis) en achetant son dernier bouquin, tout en dessins, l’Affaire des affaires, tome 1- L’argent invisible  [^6], « l’histoire d’un journaliste qui essaye d’informer ses lecteurs dans le monde d’aujourd’hui » .
On sait que ce n’est pas tâche facile, et l’on se plaint beaucoup des difficultés de la presse. À mon avis, elle serait moins conformiste et bien pensante, ouvrirait davantage ses colonnes à des Péan et des Robert, arrêterait de prendre ses lecteurs pour des cons incultes et de lécher le cul à des zélites pourries par le fric, que ça irait déjà beaucoup mieux !

pol-bl-bn@orange.fr

[^2]: Le Monde selon K., Fayard, 323 p., 19 euros.

[^3]: Comme y ont eu droit bien d’autres avant lui, je vous suggère un détour par le site Article Onze, c’est édifiant. www.article11.info/spip/spip.php?article293

[^4]: Son bloc-notes dans Le Point vaut le détour ! Quelqu’un peut-il expliquer au grand philosophe qui est Philippe Bilger ?

[^5]: « Kouchner n’avait pas le droit ! », par Maurice Szafran, et « Affaire Kouchner, la contre-attaque honteuse », par Philippe Cohen et Éric Decouty.

[^6]: Coauteurs : Yan Lindingre et Laurent Astier, Dargaud, 206 p., 22 euros.

Edito Bernard Langlois
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