Colonies : un passé bien présent

La pensée coloniale s’est propagée en France à travers l’enseignement et la culture.

Olivier Doubre  • 19 mars 2009 abonné·es

Olivier Le Cour Grandmaison poursuit son exploration des sources et des méfaits du colonialisme français. Après son ouvrage Coloniser, exterminer, charge au vitriol parue en 2005 (Fayard) qui analysait les effets de l’arrivée des troupes françaises puis des colons, principalement en Algérie, à partir de 1830, sur les populations « indigènes » des possessions de l’empire, son nouvel ouvrage, la République impériale. Politique et racisme d’État, s’attache à montrer les incidences en métropole de la construction du deuxième empire colonial au monde (après celui de l’Angleterre) sur les institutions et la vie politique, et plus largement sur l’imaginaire ­collectif hexagonal.
Synonymes à l’époque de fierté nationale, les colonies furent en effet l’objet d’un enseignement « apologétique » du primaire jusqu’aux études supérieures, ne cessant de vanter la « plus grande France » et « le génie » de sa « civilisation » . Alors qu’elle semblait d’un autre âge et définitivement inaudible en raison du caractère intrinsèquement raciste et odieux du fait colonial, cette tradition de louanges de « l’œuvre » de la France « outre-mer » a récemment ressurgi dans le débat politique national, notamment avec la loi du 23 février 2005, avant que le candidat puis président Nicolas Sarkozy ne s’en empare sans gêne aucune.

Or, l’intérêt du travail d’Olivier Le Cour Grandmaison est de montrer combien le racisme était à la base d’un tel projet d’asservissement de millions de personnes, considérées par la République comme ses « sujets », auxquels les droits les plus élémentaires étaient refusés. Reprenant les débats à la Chambre des députés sous la IIIe République, l’auteur retrace ainsi avec force citations les prises de positions de républicains typiques de la période (tel le père de l’école laïque, Jules Ferry) se mettant à défendre fièrement, au nom de l’intérêt du pays, la théorie de l’existence de « races supérieures et inférieures » , donnant le « droit » et même le « devoir » aux premières ­d’aller « civiliser » les secondes. L’une des plus graves conséquences de ce véritable « racisme d’État » sera bel et bien sa propagation dans la vie publique et au sein de la société, à travers l’enseignement et la culture. Et l’auteur ­d’observer, à partir du concept d’ « impérialisation » qu’il forge pour ce faire, que de telles conceptions racistes resteront fortement ancrées dans les mentalités. La construction de l’empire aura donc des incidences sur la nature de la République elle-même, laissant présager des atteintes aux libertés fondamentales qui ne manqueront pas d’advenir, des camps d’internement en 1939 pour les réfugiés espagnols jusqu’à l’usage de la torture pendant la guerre d’Algérie ou la répression du 17 oc­tobre 1961. Son ouvrage révèle ainsi la véritable généalogie d’une République impériale et coloniale dont certains aspects perdurent malheureusement encore aujourd’hui. Sa lecture permet en tout cas d’aiguiser notre vigilance.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre
L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement
Histoire 4 décembre 2025

L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement

Ce texte fut ensuite amendé par certains militants et grandes signatures, en premier lieu celle de Pierre Bourdieu. Mais les cinq rédacteurs de sa première version – qu’a retrouvée Michèle Riot-Sarcey et que nous publions grâce à ses bons soins – se voulaient d’abord une réponse aux soutiens au plan gouvernemental.
Par Olivier Doubre
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff