Drôle de moralisation

La fusion des Banques populaires et des Caisses d’épargne orchestrée par l’Élysée porte atteinte aux principes mutualistes. Les syndicats dénoncent un « coup de force ».

Thierry Brun  • 5 mars 2009 abonné·es

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Nicolas Sarkozy en patron mutualiste, c’est sans doute l’aspect le plus invraisemblable de l’histoire de la fusion des groupes Caisse d’épargne et Banque populaire, et de leur filiale commune, Natixis. Pourtant, le président de la République en personne a bel et bien pris le contrôle de deux banques issues du même giron coopératif. Et c’est l’un de ses plus proches collaborateurs, François Pérol, authentique libéral, qui a pris les commandes du deuxième groupe bancaire français né de cette fusion.
L’Élysée actionnaire met la main sur deux piliers de l’économie sociale sans en informer les millions de sociétaires et associés, notamment les vingt Banques populaires et les dix-sept Caisses d’épargne régionales. Sans oublier les 95 000 salariés, car les syndicats ont aussi été mis hors du coup. Ceux-ci ont découvert dans la presse les décisions de l’Élysée, alors qu’ils avaient demandé à rencontrer la ministre de l’Économie, Christine Lagarde, il y a deux semaines…

Illustration - Drôle de moralisation

Les Caisses d’épargne ont perdu 1,9 milliard d’euros en 2008,
et les Banques populaires 469 millions. De Sakutin/Piermont/AFP

Cet interventionnisme brutal porte « atteinte aux principes de fonctionnement des deux groupes mutualistes » , proteste la fédération Unsa des banques et assurances. Gilles Desseigne, responsable Unsa au sein des Banques populaires, parle de « coup de force » et de « mépris » envers les salariés. Et les dirigeants cultivent le flou. « On aimerait connaître le projet industriel global. À quoi serviront les fonds publics ? » , s’interroge François Duchet, de la CGT Natixis.

Qu’adviendra-t-il du modèle coopératif commun aux deux groupes ? Les dirigeants des Banques populaires et des Caisses d’épargne ont banalisé le statut coopératif à coups de fusions, de filialisations et de course au placement attractif. Le mélange des genres connaît son point d’orgue en 2006 avec la création de la banque d’affaires cotée en Bourse Natixis. Elle devait être « extrêmement créatrice de valeur » , promettait Charles Milhaud, patron des Caisses d’épargne qui a démissionné en octobre dernier après avoir entraîné sa banque dans la tourmente financière. Les Caisses d’épargne ont perdu 1,9 milliard d’euros en 2008 ; les Banques populaires, 468 millions d’euros, pour la première fois depuis des décennies. Natixis, qui a déjà bénéficié d’un apport en capital de 2 milliards d’euros de l’État, a plongé de 2,8 milliards en 2008.

« Le mot d’ordre est devenu le profit à tout prix, et le groupe Caisse d’épargne a mené une mutation de ses politiques commerciales, sociales et organisationnelles pour y répondre » , résume Jean-Paul Krief, délégué CGT du groupe. « La démocratie sociale exercée dans les banques coopératives est largement fictive » , observent Pierre Dubois et Michel Abhervé, enseignants spécialisés dans l’économie sociale [^2]. À cette aune, le destin de ces deux établissements était prévisible depuis les dérives de leurs dirigeants et le dévoiement de leur démocratie interne. L’intervention élyséenne arrive à point pour rassurer marchés et actionnaires en réorganisant le secteur bancaire, et apporter la démonstration que le thème cher au Président de « la moralisation du capitalisme » est une réalité…

[^2]: Les Banques coopératives, du pire au meilleur pour le développement de l’économie sociale, à lire sur [>www.journaldumauss.net].

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