Héros très positif

Avec « Harvey Milk »,
qui raconte les combats du premier élu homosexuel déclaré aux États-Unis, Gus Van Sant réalise un film politique
et euphorique.

Christophe Kantcheff  • 5 mars 2009 abonné·es

Gus Van Sant est sans aucun doute l’un des cinéastes américains les plus surprenants. Il est toujours difficile de savoir quel sera son prochain projet : Van Sant peut ainsi passer sans transition d’un film aux enjeux esthétiques affirmés et risqués à un succès grand public. Ce qui le mène de l’un à l’autre n’est pas à proprement parler mystérieux. Il est fort probable que le cinéaste ait régulièrement besoin de rappeler aux studios ses capacités à figurer dans les hauteurs du box-office. En réalité, le plus étonnant, c’est que sa filmographie ne ressemble en rien à une somme d’objets hétéroclites. Celle-ci est traversée par une cohérence. Il y a une touch Van Sant, qui n’est pas une manière ni une « petite musique », mais une exigence. Une interrogation ininterrompue sur la responsabilité du cinéaste. Ainsi, le réalisateur d’ Elephant, de Last Days et de Paranoid Park , que l’on a souvent qualifiés d’ « arty » quand bien même ces trois films (qui précèdent Harvey Milk) mettent en scène la violence meurtrière ou autodestructrice d’une jeunesse, signe aujourd’hui un film au propos directement politique, qu’il n’est pas abusif de qualifier même de militant.
Et bien que militant – le film est une formidable machine à héroïser le premier élu homosexuel déclaré –, bien qu’oscarisé pour son scénario et pour la prestation de Sean Penn dans le rôle-titre, Harvey Milk n’est jamais uniforme ni simplificateur. Il raconte avec euphorie la complexité des situations et des processus politiques auxquels est confrontée la minorité homosexuelle, dont les droits n’égalent pas ceux des hétéros. Le film, l’air de rien, a une dimension pédagogique évidente, et le fait qu’il épouse l’humour distancié de Milk rend la chose particulièrement enthousiasmante. Une prouesse.

Harvey Milk n’évoque certes pas le cinéma de Francesco Rosi, qui met au jour les méandres d’organisations ou de systèmes de pouvoir. Le film, qui relève de ce genre très en vogue qu’est le biopic , raconte une partie de la biographie d’Harvey Milk, entre 1970 et 1978, le temps de sa transformation en homme politique, jusqu’à son assassinat. Ce sont tous les aspects de la vie de Milk qui sont montrés, en particulier sa vie amoureuse. Non pour agrémenter le récit d’histoires de cœur. Mais parce que chez Harvey Milk vie intime et vie publique sont indissociables. Les raisons qui le poussent à s’engager dans les affaires de la cité sont strictement personnelles. Ce n’est pas un hasard si les mouvements homosexuels et de lutte contre le sida ont « inventé » une manière de faire de la politique à la première personne.

Le film est d’abord une excellente illustration du lien entre le local et le « global ». Tout commence avec l’installation de Milk et de son petit ami Scott dans le quartier de Castro à San Francisco, en 1972, où ils ouvrent un magasin de photo. Pour faire tourner la boutique, pas forcément attirante aux yeux de la population majoritaire – des travailleurs catholiques d’origine irlandaise –, Milk transforme leur magasin en point de ralliement des gays du quartier. Il fait même alliance, sur certaines revendications, avec le syndicat ouvrier du coin. Harvey Milk devient la figure incontournable du quartier, îlot de relative liberté pour les homos réprimés par la police. Il est fin prêt pour se porter candidat à des élections, ce qui va le mener jusqu’à la municipalité de San Francisco.
Dès lors, le film démonte une à une les idées reçues à propos de la minorité homosexuelle et de sa représentation politique. D’autant plus efficace qu’il n’est pas une charge grossière à la Michael Moore, mais une pure perle hollywoodienne centrée sur la geste d’un individu d’exception, Harvey Milk, et son entourage, tout aussi valeureux. Avec une intelligence rare, le film démonte les accusations de communautarisme ou d’irrespect du droit à la vie privée. Un gay forcément représentant des gays ? Personne d’autre ne reprend leurs revendications. Un gay d’abord élu par les voix homosexuelles ? À cause des contraintes du jeu médiatico-démocratique et des forces sociales en présence. Ce qui n’empêche pas ensuite Harvey Milk de se faire le porte-parole ­d’autres minorités et opprimés. L’incitation au coming out ? Pour répondre à une campagne réactionnaire insinuant qu’homosexualité et pédophilie sont synonymes.

« La politique, ce n’est pas forcément gagner, déclare Milk, c’est dire que tu existes. » Tout est là, qui résume aussi les combats qu’il a menés : la nécessité de la visibilité pour faire avancer les droits. Cette visibilité, le film de Gus Van Sant, en totale osmose avec son héros, transcendé par une composition sidérante de vraisemblance de la part de Sean Penn, la multiplie par dix, par mille. Pour le plaisir des spectateurs et dans l’intérêt des citoyens.

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