Le syndrome du bonsaï

Alain Brossat  • 5 mars 2009 abonné·es

Tout tend à devenir plus petit – c’est ça, le problème de l’époque.
En politique, du bas en haut, spécialement en haut : tout se passe comme si la puissance occulte, le démiurge tout puissant qui préside aux destinées de l’État et de la nation, s’était lancée à mort dans les nanotechnologies. Laissons d’emblée de côté l’accessoire, les histoires de petite taille et de talonnettes – on se rappelle la façon dont Alain Badiou s’est fait lapider pour avoir osé suggérer que, sur ce plan, l’Élu des Français (comme ils disent) se situait plutôt du côté du bas que du haut. Non, allons à l’essentiel – l’art et la manière dont un souverain associe son règne à la gloire, cultive sa grandeur et son éclat, quand bien même il serait de taille médiocre. L’essentiel est ici ce qui fonde l’exception du souverain : ce n’est pas la physionomie du bonhomme qui fait la grandeur ou la médiocrité de son règne, c’est tout autre chose, une qualité morale, le respect, voire l’effroi, qu’il inspire à ses contemporains, le souvenir qu’il laisse à la postérité.

Prenons un exemple : lorsqu’un quidam lançait un impudent « À Colombey ! » au passage du cortège impérial, vraiment impérial, de Charles de Gaulle descendant les Champs-Élysées en limousine noire, la police lui mettait la main au collet et il lui fallait rendre compte du délit d’outrage au chef de l’État. Ça avait de la gueule.

Aujourd’hui, les choses sont différentes. Le Président est un homme de spectacle qui s’érige en gardien de son image. Qu’une compagnie aérienne low cost s’avise de la capter pour en faire sa pub, qu’un fabricant de gadgets en fasse une marionnette à son effigie, et notre homoncule attaque en justice, comme un vulgaire PPDA – en vertu du « droit à l’image ».

Non, vraiment, tout s’amenuise, tout diminue. La preuve, encore, à supposer que vous ayez à expliquer en termes clairs et pédagogiques à un enfant de dix ans ce qu’il en est de « l’exception souveraine », la chose est simple : sous la Ve République, le Président, c’est le seul type qui ait le droit d’invectiver un passant ordinaire ( « Casse-toi, pauv’ con ! » ) sans être exposé à des poursuites pour injures simples (c’est la condition d’immunité juridique du personnage). En revanche, le type de base qui, à Angers, brandit le 28 août 2008 une pancarte sur le passage du chef de l’État, pancarte sur laquelle était inscrite la même apostrophe exactement, sera condamné à une amende de 30 euros. Pas cher, dira-t-on, pour une si précieuse leçon sur la condition de souveraineté contemporaine. Jadis, c’est évident, un audacieux de ce genre s’exposait à être écartelé par quatre chevaux robustes. Le public adorait ça. En ce temps-là, aussi, les rois ne causaient pas comme des cochers.

Tout rapetisse, je vous dis. Jadis, quand les rois devenaient fous, ils le devenaient pour de bon – Lear et sa manie de dépecer son royaume au profit des moins méritante de ses filles. Aujourd’hui, celui qui usurpe leur place n’est guère qu’un grand névrosé agité de tics et fauteur de lapsus minables ; il nous exhorte à travailler-plus-pour-gagner-plus, mais lui, il laisse travailler son inconscient à sa place… Non, je vous le dis, la folie du pouvoir n’est plus ce qu’elle était, elle est devenue résolument bonsaï  !

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