L’Université malade du libéralisme

Christophe Ramaux  • 12 mars 2009 abonné·es

Le système français d’enseignement supérieur est organisé, en dépit du bon sens, sur trois piliers. D’abord, les grandes (souvent petites) écoles, qui sont bien dotées et censées capter l’élite. Avec ce paradoxe : elles étaient jusqu’à présent peu reliées à l’excellence de la recherche. Mais la mode du classement de Shanghai (qui compare les performances universitaires à l’échelle mondiale) aiguise leurs appétits en la matière, et elles pourraient rentrer en concurrence avec les universités. Les BTS et IUT, ensuite : conçus comme des formations courtes, ils sélectionnent leurs étudiants et captent de ce fait – surtout les IUT – une partie de ceux qui n’ont pu intégrer les écoles. L’Université, enfin, longtemps centrée sur la formation des enseignants et la recherche.

La massification de l’enseignement supérieur a totalement changé la donne pour elle. C’est l’Université, en effet, qui l’a assumée ; son public et ses missions se sont donc diversifiés. Elle y a fait face avec la création de diplômes professionnels (licence ou master pro). Mais ceux qui assurent ces missions sont souvent mal reconnus. L’Université demeure structurée par la recherche. Pour le meilleur : c’est l’une de ses missions, et une formation non estampillée professionnelle peut être un bon sésame pour l’emploi. La culture générale est gage d’adaptation, alors que des formations professionnelles pointues risquent l’obsolescence (cf. la crise de l’apprentissage en Allemagne). Pour le pire aussi : dans certaines universités, l’enseignement en économie, par exemple, fait ingurgiter aux étudiants de première année des modèles qui, sans parler de leur pertinence théorique, n’auront rigoureusement aucune utilité pour les 95 % qui ne feront pas de recherche.

La diversification de ses missions peut être un fantastique atout pour l’Université : elle seule peut offrir à ses étudiants un spectre large, avec moult passerelles entre différents cursus. Encore faut-il que ces derniers soient reconnus à leur juste valeur. Ce qui n’est pas simple. D’autant plus qu’on bute sur la représentation méprisante et méprisable de la réalité du travail en France, où, plus qu’ailleurs, y est répandue l’idée selon laquelle « si on n’est pas cadre, on n’est rien ». Or, même si leur part a doublé depuis 1975, les cadres ne forment que 15 % des emplois. Ouvriers et employés comptent pour 53 % (chiffre assez stable depuis trente ans), les professions intermédiaires pour 24 %.

Sa mue, l’Université l’a réalisée sans vision d’ensemble et
– les statistiques de l’OCDE sont éloquentes – sans moyens. Une réforme, avec remise à plat de l’ensemble du système, s’impose. Assise sur un vaste plan de relance, elle pourrait être un beau projet mobilisateur et fédérateur pour l’ensemble des personnels.
Alors que le libéralisme explose en plein vol, le gouvernement organise, pour sa part, la mise en concurrence généralisée : des universités entre elles, en leur sein même et entre universitaires. Ici comme ailleurs néolibéralisme rime avec dirigisme : d’où le pouvoir exorbitant confié, dès la loi LRU, aux présidents d’université, qui satisfait au passage certains des universitaires qui, ayant opté pour une louable carrière administrative, outrepassent leur fonction et se projettent en supermanagers.

La critique la plus radicale du projet de statut des universitaires est venue de Qualité de la science française, association de défense et de promotion de la qualité et de la créativité de l’enseignement supérieur et de la recherche, peu portée a priori sur la contestation, avec en particulier la [contribution-> http://www.qsf.fr/pdf/QSFNoteBeaud_statut.pdf
] du juriste Olivier Beaud. Ce n’est pas anodin. Le droit public et les services publics trouvent leur justification ultime dans une idée simple : il importe que certaines missions d’intérêt général soient soustraites au jeu des intérêts privés. Le statut de fonctionnaire en découle avec l’idée que la réalisation de ces missions ne doit pas plus dépendre des aléas politiques (un gouvernement ne peut changer tous les agents, car l’État ne lui appartient pas). L’évaluation et la différenciation des carrières sont nécessaires à l’Université (et l’évaluation, notamment par les étudiants, mérite d’être améliorée) comme dans les autres services publics. Reste l’essentiel : c’est le sens des responsabilités, la coopération entre pairs, la collégialité qui y sont d’abord pertinents et sources d’efficacité.

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