Secret-défense : défense d’y voir

Christine Tréguier  • 12 mars 2009 abonné·es

Les juges d’instruction peuvent-ils encore enquêter sur des « affaires d’État » ? Les syndicats de magistrats et d’avocats tirent le signal d’alarme. Objet de leurs inquiétudes : le projet de loi de programmation militaire déposé en Conseil des ministres le 24 octobre 2008. Son chapitre VI introduit la notion de lieux « classifiés au titre du secret de la défense nationale » et de lieux « déclarés » comme étant « susceptibles d’abriter des éléments couverts » par ce secret. « La formule est extrêmement vague, souligne le Syndicat de la magistrature, e t le texte ne dit ni qui pourrait faire cette déclaration, ni comment elle devrait être effectuée, ni quelle publicité lui serait donnée, ni encore à quel contrôle elle serait soumise. » Avant d’effectuer des perquisitions dans de tels lieux, les magistrats devraient obtenir l’autorisation du président de la Commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) [^2]. Lequel les escorterait sur place, serait seul à prendre connaissance des éléments classifiés découverts et ne les leur communiquerait que s’il les estime en rapport avec l’investigation et après déclassification. Idem en cas de documents estampillés secret-défense trouvés dans des lieux dits « neutres ». Les juges sont priés d’attendre l’arrivée du superviseur de la CCSDN.

Pour le Syndicat de la magistrature, « le gouvernement sort l’artillerie lourde pour entraver, voire neutraliser, le travail des quelques magistrats qui sont encore en mesure d’enquêter sur des dossiers gênants ». Le juge d’instruction est, une fois encore, dans le collimateur, et le syndicat dénonce les manœuvres de l’État pour limiter drastiquement ses pouvoirs d’enquête et contrer des investigations qui dérangent, type frégates de Taïwan, affaires Borrel et surtout Clearstream (dans le cadre de laquelle des perquisitions ont été menées au siège de la DGSE). Ce secret-défense étendu profiterait également à « de grands groupes industriels (Monsanto, Thales, Areva…) [qui] p ourraient bénéficier d’une protection globale au motif qu’ils détiendraient peut-être des documents classifiés ».
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Dominique Barella, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, exprime lui aussi ses craintes que l’État empêche ainsi citoyens, journalistes, magistrats et associations de défense d’accéder à tout ce qui pourrait *« gêner ses petites et grandes manœuvres d’arrière-cuisine ».
Il relève un glissement de la notion de « renseignements » à celle d ’« informations » , indéfinie et extensible à l’infini. C’est donc « la population et les victimes des catastrophes [qui] risquent d’être privées d’éléments importants dans les dossiers judiciaires face à un secret-défense qu’on leur opposera à tout bout de champ ».
Le magistrat ne mâche pas ses mots : « Ne nous y trompons pas, derrière cette paranoïa antijuge, c’est bien le peuple, dont il est un des derniers recours, qui est visé. Nos dirigeants ne souhaitent pas que les citoyens mettent leur nez dans la réalité de l’exercice du pouvoir. »

[^2]: Trois des cinq membres de la CCSDN – deux magistrats et un conseiller d’État – sont nommés directement par le président de la République.

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