Vivre selon ses besoins

Paul Ariès  • 26 mars 2009 abonné·es

Nous ne pouvons certes que soutenir, pour des raisons à la fois sociales et écologiques, cette longue marche historique pour imposer au patronat la réduction du temps de travail. Nous devons cependant tirer les enseignements des expériences et des échecs passés. La gauche n’a pas su « vendre » le passage aux 35 heures et guère mieux la retraite à 60 ans. Elle se trouve aujourd’hui en difficulté pour contrer les projets sarkozystes et du Medef. Le peuple ne s’émancipe pas lorsqu’il passe du travail posté aux loisirs postés. Qui se souvient qu’une partie de la gauche souhaitait en 1981 que le passage aux 35 heures serve (partiellement) à développer la démocratie dans l’entreprise, et qu’à tout prendre le patronat a préféré alors une RTT sans conseils d’ateliers à une RTT avec démocratie salariale ?

Les milieux populaires ne pourront en outre se libérer de l’idéologie du travail que s’ils s’émancipent en même temps de l’idéologie de la consommation. On peut se gausser de Sarkozy, mais son slogan du « travailler plus pour gagner plus » jouera gagnant tant que nous rêverons de partager le mode de vie des petits-bourgeois. Nous resterons des forçats du travail tant que nous serons des forçats de la consommation. Une nouvelle gauche antiproductiviste ne pourra donc bousculer le champ politique que le jour où elle sera enfin capable de proposer des solutions concrètes pour en finir avec la société du « toujours plus », avec le vieux rêve de l’abondance.

Cette gauche en a aujourd’hui le devoir, mais aussi la possibilité :
il lui suffit de reconnaître que notre société est assez riche pour découpler (au moins partiellement) les revenus du travail.
La gauche doit avoir le culot de rappeler que son projet reste
de passer à une société où chacun puisse vivre selon ses besoins. Nous n’en pouvons plus de lutter pour après-demain alors que
c’est dès maintenant qu’il est possible d’inventer des formes
et des enjeux de lutte qui soient conformes à notre idéal.
La société est-elle assez riche pour donner à chacun de quoi vivre frugalement mais dignement ? Doit-elle le faire encore sous une forme monétaire ou plutôt en généralisant les services gratuits ?

Si la gauche choisit la forme monétaire : devons-nous parler
avec les syndicalistes de « salaire socialisé » (et réveiller pourquoi pas le vieux mot d’ordre de « salaire étudiant ») ou devons-nous oser franchir le Rubicon et avancer l’idée d’un « revenu minimum inconditionnel » couplé à un « revenu maximum autorisé » ?

Si la gauche choisit d’étendre la sphère des gratuités, c’est-à-dire finalement celle des services publics financés par la fiscalité,
par lesquelles commencer ? Celle des transports en commun urbains pour rappeler que, si le droit au déplacement est devenu
un droit universel, la civilisation de la voiture est, elle, condamnée ? Celle du logement social et d’un quota d’énergie permettant
à chacun de vivre normalement ? L’idée d’un revenu universel
ou celle d’une extension de la sphère de la gratuité ne sont pas
une façon d’en finir avec tout travail mais seulement avec le travail aliéné. C’est même la possibilité de renouer avec un travail libérateur, avec un travail choisi. Une nouvelle gauche antiproductiviste a tout à gagner à lier le combat
pour une réduction du temps de travail
avec celui pour le revenu universel.

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