Assister (et se protéger) des pauvres

Olivier Doubre  • 16 avril 2009 abonné·es

À la fin du XIXe siècle, la sociologie était une science humaine encore naissante. L’exploration des phénomènes sociaux débutait peu à peu, d’abord en France sous l’égide de Durkheim, qui, le premier, allait en définir les fondements et les grands principes. En Allemagne, deux grands auteurs, Max Weber et Georg Simmel, allaient lui donner son envol, et leurs écrits connaîtront rapidement une renommée internationale. Historien et philosophe, auteur de la fameuse Philosophie de l’argent  (1900) où il interroge le matérialisme historique de Marx, Georg Simmel s’affirma cependant comme un penseur « discordant », en forgeant le paradigme de « l’interaction », promis plusieurs décennies plus tard à une influence de premier ordre. À côté de travaux d’esthétique, d’éthique ou de métaphysique, il proposa dans l’un de ses maîtres-ouvrages, l a Sociologie (1908), grâce à une méthode sociologique originale, une typologie du lien social à travers différents volets : L’étranger, Le conflit ou Le pauvre . C’est ce dernier que les éditions Allia ont eu la bonne idée de rééditer, avec une traduction et une présentation de Laure Cahen-Maurel. S’intéressant moins directement à la figure du pauvre elle-même, Simmel s’attache surtout à expliciter les raisons pour lesquelles la société ressent l’obligation de fournir assistance aux plus démunis de ses membres. Il s’agit en fait moins de tenter de corriger les inégalités, faire disparaître l’indigence ou de sanctionner un éventuel droit à la subsistance, que de viser « à éliminer les dangers dont il [le pauvre, ndlr] menace le bien public et à empêcher ses déviances » . En somme, prévient Simmel, quand la société « appelle pauvre celui qui bénéficie de l’assistance » , elle cherche d’abord à se protéger de possibles troubles, voire de révoltes contre l’injustice ou l’inégalité des conditions. Aussi, loin de toute empathie, cet essai, vieux de plus d’un siècle, présente un intérêt à la fois théorique et historique, mais s’avère également d’une étonnante actualité. Un grand texte.

À signaler : la réédition de deux textes désormais classiques du philosophe Leo Strauss, dont l’influence depuis sa disparition en 1973 n’a cessé de croître : la Renaissance du rationalisme politique classique, traduit de l’anglais (États-Unis) et postface de Pierre Guglielmina (Gallimard, « Tel », 518 p., 14,50 euros) et la Persécution et l’art d’écrire, qui analyse les relations entre philosophie et politique à travers les grands textes de la pensée juive (traduit de l’anglais et présenté par Olivier Sedeyn, Gallimard, « Tel », 362 p., 14 euros).

Enfin, la revue Raisons politiques publie le 1er numéro d’une livraison en deux parties consacrée John Rawls : D’après Rawls, vol. 1 (Presses de Sciences-Po, n° 33, fév. 2009, 180 p., 18 euros).

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Entretien 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Médecine alternative : l’ombre sectaire
Idées 16 avril 2025 abonné·es

Médecine alternative : l’ombre sectaire

Un rapport de la Miviludes met en lumière un phénomène inquiétant. Depuis la pandémie de covid-19, l’attrait pour les soins non conventionnels s’est accru, au risque de dérives dangereuses, voire mortelles.
Par Juliette Heinzlef