Emploi des jeunes : « La crise a bon dos »

En préambule aux articles consacrés aux jeunes face à la crise, à lire dans la rubrique Eco/Social du prochain Politis (en kiosque et sur ce site jeudi 16 avril), Politis.fr vous propose un entretien avec Philippe Labbé, sociologue et ethnologue au cabinet d’étude Geste. Pour lui, le taux de chômage des jeunes est davantage dû au manque de volonté politique qu’à la crise économique.

Pauline Graulle  • 14 avril 2009 abonné·es
Emploi des jeunes : « La crise a bon dos »

Politis.fr : Plus de 20 % des moins de 25 ans sont sans emploi. Pourquoi les jeunes sont-ils, comme l’a dit Sarkozy, les « premières victimes de la crise » ? Subissent-ils les affres d’une crise conjoncturelle ou est-ce une crise structurelle ?

Philippe Labbé : Lorsqu’on dit que 20 % des jeunes sont au chômage, il faut avoir en tête qu’il s’agit de la proportion parmi les jeunes actifs qui sont sur le marché du travail. Ils sont effectivement les « premières victimes de la crise » pour une raison simple : les conditions d’accès à ce marché ressemblent un peu à une sorte de purgatoire, très majoritairement (près de 8 embauches sur 10) via des CDD et missions d’intérim. Ces contrats étant considérés comme la variable d’ajustement par les employeurs, ceux-ci les compressent en période peu favorable. Dire que « les jeunes sont victimes de la crise » est donc une formule qui permet d’exonérer une politique économique et une gestion des ressources humaines qui n’est pas humaine en déplaçant le problème vers un phénomène global et extérieur. « La crise » a bon dos. D’autre part, on est face à un phénomène paradoxal : par définition, une crise ne dure pas, elle est aigue et courte. D’un autre côté, voilà des décennies que la situation est critique pour les jeunes, jusqu’à être structurelle.

Quels jeunes sont les plus touchés par cette situation : ceux qui n’ont pas de qualification ou les jeunes diplômés qui subissent le déclassement social ?
Brecht disait qu’il valait mieux être riche, cultivé et en bonne santé que l’inverse. Les jeunes non ou peu qualifiés (dans le jargon de la politique de l’emploi, on les appelle les « BNQ » – bas niveaux de qualification-), éprouvent plus rudement la contraction du marché du travail : le rapport entre l’offre et la demande joue au bénéfice de l’offre qui élève ses critères de sélection. Du coup, on en arrive au technicien de surface Bac + 5 polyglotte et avec expérience ! Donc les premiers buttent, piétinent, et voient les mieux dotés scolairement leur passer devant…pour occuper des emplois où il leur faudra faire « le deuil des aspirations », ce que vous nommez justement le déclassement. Bien sûr, des pondérations doivent être apportées : un Bac pro s’insère plus facilement qu’un Master de littérature comparée…

Il y a quand même de quoi désespérer…
Je crois que certains jeunes sont surtout désenchantés et, par la force des choses lucides, donc pragmatiques. La société n’est guère solidaire avec eux, ils recherchent donc la solidarité au plus proche d’eux, famille, amis… Toutefois le politique ne pouvant être totalement évacué, c’est un champ réinvesti ponctuellement, sur une base de révolte ou d’enthousiasme, en tout cas de façon éphémère.

Que pensez-vous de la proposition de Martin Hirsch qui a annoncé une enveloppe de 1,5 milliard d’euros pour créer 100 000 contrats en alternance ? Et plus largement, de cette idée de « prérecruter » les jeunes en les formant en période de crise pour qu’ils soient opérationnels quand la croissance repartira ?
L’histoire ressert les plats sur fond d’amnésie… Le plus étonnant, c’est que peu de gens s’en rendent compte, ou du moins l’expriment ! 1981, c’est la date « officielle » de la naissance de l’insertion avec le rapport de Bertrand Schwartz. Qu’est-ce qu’on y lit mots pour mots ? Développer l’apprentissage et l’alternance, former les jeunes en attendant la reprise… 800 PAIO (permanences d’accueil, information et orientation) ont été explicitement créées pour cela en 1982. Cependant, si l’alternance est incontestablement une bonne formule d’acquisition et d’intégration professionnelles, qui d’ailleurs est appréciée des employeurs, elle implique une temporalité longue : deux ans, trois ans pour l’apprentissage. Peut-on raisonnablement songer qu’en période d’incertitude les employeurs vont s’engager sur de telles temporalités ? Sauf effet d’aubaine – les aides publiques vont être renforcées – cela semble improbable.

Selon vous, que faudrait-il faire pour enrayer le chômage des jeunes ?
Partager le travail. Mais c’est un gros mot, radicalement à l’opposé de l’idéologie dominante, « travailler plus… », les heures supplémentaires, etc. Il faut aussi permettre aux jeunes d’expérimenter des tas de choses, mieux organiser l’orientation, sécuriser économiquement les parcours (vers l’allocation universelle), valoriser les investissements associatifs, leur ouvrir de nouveaux horizons en aidant à une mobilité de découverte, pas de flexibilité. Il faudrait sans doute également que les « adultes » soient exemplaires pour réinsuffler des valeurs de façon crédible dans le monde du travail. On en est loin…

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