La société civile s’invite au G20

À l’occasion du sommet des chefs d’État qui se tient ce jeudi à Londres, le mouvement associatif militant avance ses propositions pour faire face à la crise.

Pauline Graulle  • 2 avril 2009 abonné·es
La société civile s’invite au G20

C’est promis juré. Crise économique mondiale oblige, les vingt chefs d’État les plus puissants de la planète vont, cette fois-ci, mettre sur la table du G20 les sujets qui fâchent : paradis fiscaux, opacité des marchés financiers, régulation du système bancaire, encadrement de la rémunération des dirigeants… Gordon Brown, le Premier ministre britannique, en a même appelé à un « new deal global » . L’objectif affiché est ambitieux, voire présomptueux. Car il s’agit de « refonder le capitalisme » … en le conservant intact !

« Nous reconnaissons que ces réformes ne porteront leurs fruits que si elles s’appuient sur des économies fondées sur les principes du libre marché […], le respect de la propriété privée, l’ouverture des échanges et des investissements, la concurrence entre les marchés » , ont ainsi déclaré en chœur les membres du G20, il y a cinq mois, à Washington. Bref, pas de changement de cap en vue. Il y a donc fort à parier que le sommet de Londres accouchera d’une souris incapable de s’attaquer aux racines des crises (économique, financière, sociale, écologique…) qui frappent l’humanité.

Illustration - La société civile s’invite au G20

Avant tout, le mouvement social veut rétablir un peu de démocratie dans la gouvernance des institutions internationales. Directo/AFP

Il y a pourtant urgence. C’est pourquoi plusieurs dizaines d’associations – et quelques syndicats et groupes politiques – se sont ralliées à l’appel d’Attac France pour mener des actions dans une cinquantaine de villes de France, samedi 28 mars. Revendiquant une expertise de terrain, ces organisations sont bien décidées à faire entendre leur voix face « à la volonté du G20 de décider au nom de tous les pays et à la place des peuples du monde entier » des mesures à engager face à la crise.
Si la volonté politique fait défaut, les idées ne manquent pas dans la société civile. Quatre pôles de revendications sont avancés : le contrôle des organisations financières, la régulation des marchés, la mise en place d’une fiscalité redistributive et la maîtrise des grands équilibres environnementaux. « Il faut travailler sur tous les fronts en même temps », explique Maxime Combes, de l’Aitec, un réseau de professionnels et de chercheurs engagés dans le mouvement social. « On doit engager une refonte de notre projet global de société et adopter une logique de long terme » , ajoute Anne Bringault, directrice des Amis de la Terre.
Avant tout, il s’agit de rétablir un peu de démocratie dans la gouvernance des institutions internationales. « On est actuellement en pleine schizophrénie entre les institutions économiques, comme la Banque mondiale et le FMI, qui vont vers toujours moins de régulation, et les organismes des Nations unies qui ont une analyse globale. Par exemple, le Pnud, qui produit un indice de développement fondé sur des critères sociaux. Il faudrait renforcer le pouvoir de l’ONU, et démocratiser la Banque mondiale et le FMI, où le poids électoral dépend de la richesse des pays : l’ensemble des pays africains n’a que 5 % des droits de vote. Si le FMI doit continuer à édicter des lois internationales, on doit aller vers “un pays égale une voix” » , souligne Antoine Malafosse, délégué général du CCFD Terre solidaire.

Il faut encore refonder le système dans son ensemble : « Le G20 ne parle que du secteur financier, et pas des entreprises, alors qu’elles sont les premières utilisatrices de ce système opaque ! », souligne Maylis Labusquière, d’Oxfam France-Agir ici. Car c’est dans l’impunité la plus totale que les multinationales se livrent chaque jour à de petites manœuvres pour échapper grandement à la fiscalité des pays qu’elles exploitent. Selon les estimations de l’association, qui a lancé la semaine dernière avec le CCFD la campagne « Hold-up international, pour que l’Europe régule ses entreprises », le préjudice de ces fraudes fiscales s’élèverait à 160 milliards de dollars par an pour les pays pauvres. Soit plus de trois fois l’aide publique envoyée par les pays riches.

« Ces “sociétés à responsabilité illimitée” pillent les pays du Sud en ne payant pas les impôts qu’elles ­doivent pourtant aux populations ! Le Ghana estime par exemple que cela lui coûte la moitié de son budget public » , s’indigne Maylis Labusquière. Pourtant, des solutions existent pour enrayer le phénomène. Et elles n’ont rien de révolutionnaire. Il suffirait que l’Europe exige de ces entreprises un minimum de transparence en réclamant une publication annuelle des comptes spécifiant à la fois où ces multinationales font leurs profits et où elles payent l’impôt.
Utiliser le levier de la fiscalité pour redistribuer les richesses, c’est aussi le cheval de bataille d’Attac, qui vient de publier un rapport édifiant sur le sujet [^2]. L’association altermondialiste y présente une quinzaine de propositions pour restructurer les circuits de la finance qui privent les États de ressources essentielles à la satisfaction des besoins de leur population.
Parmi celles-ci, l’élimination des paradis fiscaux et judiciaires, la levée du secret bancaire, la création de pôles financiers publics ou l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés avec la fixation d’un taux plancher pour éviter le dumping fiscal. Le texte propose également la mise en place d’une série de taxes globales à l’échelle mondiale : taxes sur les transactions financières, sur les profits des multinationales, sur les émissions carbone ou sur la fortune. Soit un pécule de 1 476 milliards de dollars. « Une somme qui nous permettrait d’avoir une chance d’atteindre les “Objectifs du millénaire pour le développement” fixés par l’ONU [réduire la pauvreté et la mortalité infantile, favoriser l’éducation, assurer un environnement durable, etc., NDLR] », indique Jean-Marie Harribey, coprésident d’Attac France.

Facile à dire, moins facile à faire, diront certains. « Est-il réaliste de mettre en circulation des centaines de millions de dollars sans recevoir en retour la moindre contrepartie ? , rétorque Jean-Marie Harribey. Les dirigeants ont l’intérêt de classes chevillé au corps ! C’est aux citoyens de se mobiliser massivement pour créer le rapport de forces. » « On est de moins en moins considérés comme des “extrémistes”, assure Antoine Malafosse. Nous sommes à un tournant : il faut “profiter” de cette crise pour bousculer les gouvernements. » Face aux mastodontes institutionnels de l’économie mondialisée, le défi de la société civile est de taille.

[^2]: De la fin des paradis fiscaux aux taxes globales, Attac France, mars 2009.

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