Le Caire de son cœur

Golo raconte sa découverte de la capitale égyptienne, populaire et truculente. Et réédite son adaptation de « Mendiants et orgueilleux », d’Albert Cossery.

Marion Dumand  • 2 avril 2009 abonné·es

Le Caire grouille. Vendeurs en tout genre, bus surpeuplés, buveurs de café, fumeurs de chicha. Des terrasses, fusent blagues sur Nasser et chansons d’Oum Kalthoum. Des amis s’apostrophent : « Que ta nuit soit de miel » , « Que le matin soit de jasmin. » Et au milieu, cheveux longs et pattes d’éléphant, un « khawaga » , autrement dit un Blanc, un touriste, un étranger : Golo. Nous sommes en 1974, et le dessinateur français a délaissé son premier amour, le Paris populo, celui de l’argot, des troquets et des immigrés, pour découvrir le second : Le Caire populaire.

C’est ce coup de foudre qu’il dessine dans Mes Mille et Une Nuits au Caire (premier tome d’un diptyque), et qui ne s’est jamais démenti en plus de trente ans. Golo retourna régulièrement dans la capitale égyptienne avant de s’y installer pour de bon en 1993. La bande dessinée se construit d’ailleurs en un va-et-vient entre passé et présent, alternant premiers émerveillements et amitiés de longue date. Avec une constante : Golo a le goût des histoires, les petites croisant la grande, qu’elle soit émeute de la faim ou fin des mamelouks. Il les glane au gré des rencontres littéraires ou humaines, guidé par Hishmat Sadik Pacha, vieil érudit, maître ès Mille et Une Nuits, ou Goudah, auquel Golo consacra l’un de ses Carnets du Caire, « un artiste du hasard, un créateur de situations, un tourbillon de fan­taisie ». On suit le bédéiste et les autres conteurs dans les ruelles, arrière-salles, cafés de mécanos, bains publics. On grimpe une soirée sur des terrasses surplombant la citadelle. On partage quelques cases avec une famille plombée par la hausse des prix. Gribouillés au crayon, ses dessins lui servaient alors à se faire comprendre. À l’encre de Chine et à l’aquarelle, ils nous servent maintenant à comprendre la magie cairote, loin des pyramides et de leurs cohortes touristiques.

Teintée de nostalgie malgré sa force vitale, l’Égypte de Golo rejoint celle de l’écrivain Albert Cossery. C’est la lecture de Mendiants et orgueilleux qui poussa Golo à découvrir ce pays. C’est ce même roman qu’il adapta en bande dessinée, rééditée par Futuropolis. Golo et Cossery eurent également un parcours croisé, à quelques décennies de distance. Français, Golo décida de vivre au Caire. Égyptien, Albert Cossery s’installa en 1945 à Paris mais ne cessa jamais d’écrire sur son pays, jusqu’à sa mort en 2008. Pendant plus de soixante ans, son chez-lui fut une simple chambre d’hôtel. Comme ses personnages, l’homme faisait du dénuement un art de vivre, préférant à la possession les bons mots ; à la soumission, la raillerie des « puissants ».
En roman ou en bande dessinée, Mendiants et orgueilleux croise de réjouissantes destinées : Gohar, l’haschischin devenu assassin ; Yéghen, le poète laid ; El Kordi, le révolutionnaire romantique ; Nour El Din, le policier homosexuel… La fin est une étonnante « happy end » : Nour El Din « avait décidé de […] vivre en mendiant. Mendiant c’était facile… Mais orgueilleux ? » Voici un policier victime de l’esprit qui anime Le Caire de Cossery et Golo : libertaire sans drapeau.

Culture
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