Pauvre démocratie !

Denis Sieffert  • 16 avril 2009 abonné·es

Des députés qui se cachent derrière les colonnes dans la salle du même nom, et qui, brusquement, font irruption dans l’hémicycle au moment du vote ; des bancs désertés par ceux qui ont oublié de venir, ou par ceux qui ne viennent jamais : c’est le spectacle offert jeudi 9 avril à la commedia dell’arte de notre démocratie dite parlementaire. Roger Karoutchi, qui assume l’ingrate fonction de secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement, n’avait pas tort de comparer la scène aux Fourberies de Scapin. Mais, à la façon de Géronte, il devrait lui-même s’interroger : « Que diable suis-je allé faire dans cette galère ? » Être chargé des « relations » avec le Parlement par un exécutif qui méprise aussi ostensiblement le corps législatif n’est pas une sinécure. Géronte-Karoutchi devrait d’ailleurs nous dire qui est le fourbe dans cette histoire ? Le socialiste, caché derrière sa colonne ? Ou le président du groupe UMP, Jean-François Copé, votant par son absence contre le projet gouvernemental ? L’espiègle de Meaux exprimant ainsi, et comme il peut, le ressentiment qu’il voue à son maître ? Scapin, donc. Et pourquoi pas ? À moins que l’on songe à du mauvais « boulevard », avec claquements de portes et cocu atrabilaire. Ce dernier rôle étant tenu, en l’occurrence, par le chef de l’État, qui avait souligné l’importance que revêtait à ses yeux le projet de loi « Création et Internet » et qui a été trompé par ses affidés.

On peut donc se gausser de cet épisode qui vit vingt et un députés de gauche surgir de nulle part et emporter par surprise une improbable majorité contre quinze de leurs collègues de droite, réduits à la figuration. On pourrait même se réjouir du bon tour des socialistes, si la loi ultrarépressive qui était en jeu ce jour-là avait été rejetée pour de bon. Mais le théâtre d’ombres n’est que l’ombre de la démocratie, et on s’est empressé, du côté de la droite, de remettre le texte liberticide à l’ordre du jour.

Il sera donc de nouveau « examiné » le 28 avril, et probablement adopté dans la foulée. On peut parier qu’il ne manquera pas un bouton de guêtre à la majorité. Calculez vous-même : les opposants au projet de loi dite Hadopi – dont nous sommes – auront gagné dix-neuf jours. Ces deux semaines et demie de répit valaient-elles les congratulations auxquelles la farce du 9 avril a donné lieu dans les rangs socialistes ? Évidemment non ! Les joyeux drilles ont-ils seulement imaginé ce que l’on penserait d’eux à Gandrange ou à Clairoix ? Il n’en faut déjà pas beaucoup quand on est dans la peau d’un chômeur ou d’un salarié en sursis pour douter de la politique ! Du moins, de cette politique-là ! Quel effet ont pu avoir sur les ouvriers d’Arcelor-Mittal ou de « la Conti » des jeux aussi futiles si, par malheur, ils en ont eu vent ? Mais, au-delà du caractère dérisoire de l’opération de commando, l’affaire pose d’autres questions. On peut y voir, au mieux, le dépit d’une opposition sans aucun recours sérieux, condamnée à regarder défiler les lois les bras ballants. Et, au pire, l’aveu de sa propre incapacité, au sujet d’Internet comme en toute chose, à élaborer une alternative audible [^2]. Il faut y voir aussi la fronde d’une majorité en permanence négligée ou méprisée par l’Élysée. Non seulement nombre de députés de droite n’aiment pas le projet de loi Hadopi, avec cette inquiétante « Haute Autorité » qui lui a donné son nom (« Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet »), mais beaucoup ont saisi l’occasion pour dire par l’abstention tout le mal qu’ils pensent d’un exécutif pris de frénésie législative et qui n’a plus aucun égard pour ces deux vertus cardinales de la démocratie que sont le libre débat et le temps de la réflexion. Nicolas Sarkozy a fini par produire une Assemblée à son image : activiste et agitée, parfois jusqu’à la loufoquerie.

Et, pour arranger le tout, voilà que l’on apprend qu’un certain Alain Marleix, chargé il y a peu du redécoupage électoral pour l’UMP, s’acquitte aujourd’hui de la même tâche, mais cette fois au compte du gouvernement. Impartialité républicaine garantie ! Le document intermédiaire, publié par le Monde des 12 et 13 avril, prévoit la suppression de 33 circonscriptions législatives existantes. Selon le quotidien, 23 seraient actuellement détenues par la gauche et 9 par la droite. Alain Marleix tente de brouiller les pistes en faisant circuler d’autres chiffres ou en indiquant que le tripatouillage n’est pas définitif. La morale de cette affaire, c’est que le cœur de notre démocratie ne bat pas au même rythme que celui de la France réelle. Qu’il ne s’émeut pas des mêmes causes. C’est hélas l’image générale et lointaine que la vie parlementaire offre au pays. Une image à la fois fidèle et outrée.

Fort heureusement, les députés de gauche auront bientôt une occasion de montrer une autre réalité. Rendez-vous le 28 mai, lorsque le PCF déposera une proposition visant à interdire « les licenciements dans les entreprises versant des dividendes à leurs actionnaires » . Voilà qui pourrait réconcilier la gauche politique et la gauche sociologique. Certes, cette relation tumultueuse ne se noue pas seulement à l’Assemblée ou au Sénat. Elle se noue aussi dans la rue et dans les entreprises. Mais une bonne proposition de loi comme celle-ci, votée au minimum par toute la gauche, peut ensuite devenir un objectif de mobilisation concret. Pourvu que certains socialistes distraits ne manquent pas l’heure du vote.

Retrouvez l’édito en vidéo , présenté par Denis Sieffert.

[^2]: L’hypothèse d’une « contribution créative fixe » – sorte de redevance pour Internet – réglerait la question de la rémunération des créateurs autrement que par le tout-répressif.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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