Amour intact

Dans « Étreintes brisées », Almodovar fait vibrer des thèmes classiques du cinéma, ravivant ainsi
sa passion pour le septième art.

Christophe Kantcheff  • 21 mai 2009 abonné·es

Divisons les spectateurs de Pedro Almodovar en deux catégories. Il y a les enthousiastes de la dernière période, celle des dix dernières années, où le cinéaste avait perdu son mauvais goût inventif, pour devenir fédérateur, ou pire, consensuel. Ces spectateurs aiment retrouver des valeurs sûres : un rythme plaisant de comédie, des couleurs vives, des femmes actives, une virtuosité dans la narration et la mise en scène. Ceux-là risquent d’être un peu déçus par Étreintes brisées.

Et puis il y a les spectateurs qui n’attendent plus grand-chose du cinéaste qui, naguère, réalisait des films autrement piquants, comme Femmes au bord de la crise de nerfs (1987) ou Attache-moi ! (1989). Pour eux, dont nous sommes, Étreintes brisées est plutôt une bonne surprise. Non que le film soit dénué de toutes scories. L’histoire qui met en scène un cinéaste (Lluis Homar) devenu aveugle, et dont on va finir par remonter le passé et le drame, comme souvent chez Almodovar, en découvrant sa maîtresse et actrice (Penélope Cruz), et le mari vieux et riche (José Luis Gomez) de celle-ci, producteur du dernier film du cinéaste, est un peu tortueuse. Un scénario trop chargé, des récits sous forme de monologues parfois laborieux, et un ventre mou autour de l’heure et demie de projection (trop de films qui atteignent ou dépassent les deux heures cette année à Cannes connaissent l’essoufflement) ne favorisent pas l’allégresse d’un film dont la tonalité est, de toute façon, plus sombre que le précédent ( Volver ).

Cependant, Pedro Almodovar y travaille un certain nombre de motifs du cinéma avec une jubilation telle qu’ Étreintes brisées finit par témoigner d’un amour du septième art encore intact et finalement très ­dynamique.
Le réalisateur amoureux de sa comédienne, le producteur jaloux, le film massacré au montage, sont autant de thèmes classiques que Pedro Almodovar parvient à faire vibrer, à rendre vivants. Les larmes du personnage joué par Penélope Cruz devant les images du Voyage en Italie, alors qu’elle-même vit une situation en écho à celle du film de Roberto Rossellini, sont symptomatiques du type d’émotion qui passe avant tout dans Étreintes brisées  : celles du cinéphile. La dernière phrase qui y est prononcée dit en substance : « Il faut finir les films, même en aveugle. » Elle rappelle singulièrement ce que les critiques de la Nouvelle Vague disaient des films qu’ils aimaient « aveuglément » (parce que ces films étaient alors inaccessibles). L’amour déraisonnable du cinéma qui sous-tend Étreintes brisées réconcilie avec un Pedro Almodovar qui avait tendance à s’assagir.

Culture
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