Cinq moyens de financer l’urgence sociale

Remis cette semaine à Nicolas Sarkozy, le rapport Cotis sur le partage des profits démontre
l’urgence de suivre de nouvelles pistes pour résorber les effets de la crise. L’argent est là : démonstration.

Thierry Brun  • 14 mai 2009 abonné·es
Cinq moyens de financer l’urgence sociale

Cent vingt milliards d’euros
– au bas mot – pour faire face à la crise économique et sociale, c’est possible ! Ce chiffre, loin d’être absurde, est à opposer au manque d’ambition de Nicolas Sarkozy sur le partage des bénéfices pour sortir de la crise. L’économie est en récession et les perspectives pour les prochains mois ne promettent pas d’amélioration. Quant au plan de relance du gouvernement (sauvetage des banques, fonds d’investissement stratégique, mesures sociales), il n’est pas à la hauteur de la gravité de la situation. Principale raison, l’évolution du partage des revenus en France : les inégalités s’accroissent, les salaires baissent, les besoins sociaux ne sont pas satisfaits.
Le rapport sur le partage des profits demandé par Nicolas Sarkozy à la mission de Jean-Philippe Cotis, directeur général de l’Insee, donne un aperçu de cette situation. Ce document très libéral, qui doit servir de base à un projet de loi prévu pour cet été, conforte l’analyse des économistes antilibéraux sur le partage de la valeur ajoutée en France.
« Sans le dire, le rapport Cotis confirme qu’il serait possible, sans toucher à l’investissement, de transférer une part importante de la valeur ajoutée des revenus du capital vers ceux du travail », souligne l’association altermondialiste Attac. Il existe donc des marges de manœuvre pour financer un plan d’urgence sociale. Où trouver ces moyens financiers ? Voici cinq réponses.

Niches fiscales : 70 milliards d’euros

Selon un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale publié en 2008, il existe environ 486 niches fiscales, représentant un manque à gagner pour l’État de 50 à 73 milliards d’euros. 200 dispositifs sont dérogatoires au seul impôt sur le revenu, pour un coût total de 39 milliards d’euros en 2008. « Les mille premiers bénéficiaires, par ordre décroissant, des niches fiscales, sont des contribuables qui, par le truchement des investissements outre-mer, réussissent à faire baisser de plus de moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne de 300 000 euros. » Ce propos n’émane pas d’un gauchiste mais du député UMP Charles de Courson, membre de la mission d’information sur les niches fiscales de l’Assemblée. La révision de celles-ci est souvent annoncée sans être vraiment mise en œuvre. Ministre de l’Économie en 2004, Nicolas Sarkozy avait déclaré la guerre à ces avantages fiscaux, mais rien n’avait été fait à son départ de Bercy.

Exonérations de cotisations : 30 milliards d’euros

Les allégements généraux de cotisations patronales sont estimés à 26,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances pour 2009, dont 23,4 milliards d’euros d’allégements de charges dits « Fillon » et 3,1 milliards d’euros d’exonérations relatives aux heures supplémentaires de la loi de 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (Tepa). Selon un rapport de la commission des finances du Sénat sur la loi de finances pour 2009, il faut y ajouter « des exonérations ciblées de cotisations patronales en direction de publics particuliers, de secteurs d’activités ou géographiques pour un montant de 6 milliards d’euros ».
Pour la commission, il s’agit d’un « empilement coûteux de dispositifs dont l’efficacité sur l’emploi reste à démontrer » . La Cour des comptes a réitéré sa position en faveur d’une diminution des allégements généraux de cotisations et a appelé à « revenir sur le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions et réductions aux finalités diverses, qui créent de fortes inégalités et constituent une perte de ressources publiques, alors que leur intérêt économique n’est pas ou plus démontré ». Ces milliards pourraient être utilisés « pour abonder des fonds qui, sous le contrôle des salariés et de leurs représentants, financeraient les projets créateurs d’emploi, de formation et d’investissement productif », explique l’économiste de la CGT Nasser Mansouri-Guilani.

Bouclier fiscal : 8 milliards d’euros

Le bouclier fiscal est la mesure la plus controversée de la loi Tepa. Pour l’année 2008, il représente un coût de 7,7 milliards d’euros selon le ministère de l’Économie, qui explique que cette loi représentera un coût de près de 10 milliards d’euros à plein régime. Surtout, il profite massivement aux titulaires des plus hauts revenus : 810 millions d’euros pour 235 000 bénéficiaires potentiels du bouclier à 50 %. Parmi eux, selon le Syndicat national unifié des impôts (Snui), 18 000 personnes soumises à l’impôt sur la fortune percevraient 564 millions d’euros de remboursement, dont un millier qui se partagerait 250 millions ! « Faut-il vraiment que la France soit le pays occidental où les revenus des personnes très riches sont les moins soumis à l’impôt ? » , s’interroge l’économiste Pierre Larrouturou, ancien délégué national Europe du PS [^2]. En comparaison, les mesures annoncées à l’issue du « sommet social », en février, représentent un coût global de 2,6 milliards…

Dividendes : 35,5 milliards d’euros

Les entreprises du CAC 40 se préparent à verser 35,5 milliards d’euros de dividendes en 2009 (43 milliards en 2008), selon une estimation du quotidien économique Les Échos publiée le 27 avril. Le quotidien relève aussi que le taux de distribution calculé par rapport au résultat net des entreprises du CAC 40 passe de 44 % à environ 60 %. Il faut remonter à 1987 pour atteindre ce niveau ! On se souvient que Nicolas Sarkozy a proposé une règle très contestée des trois tiers pour la distribution des profits : un tiers à l’investissement, un tiers aux actionnaires et un tiers aux salariés. « Le pré-rapport Cotis illustre (malgré lui ?) l’inanité absolue de la “règle des trois tiers”. À sa manière, il confirme qu’une autre répartition des revenus est possible. En faisant passer la part des dividendes de 36 % à 12 % des profits, il serait possible d’augmenter la masse salariale (salaires et cotisations sociales) d’environ 10 % », explique l’économiste Michel Husson.

Impôt européen : 18 milliards d’euros

L’idée d’une imposition européenne est loin d’être à l’ordre du jour des institutions de l’Union européenne (UE). Celle-ci est réputée pour ses paradis fiscaux qui drainent des centaines de milliards d’euros de fraude fiscale. Pour donner un aperçu de l’injustice fiscale, la seule fraude à la TVA représenterait 14 milliards d’euros chaque année en France, selon le Snui. L’ensemble de la fraude fiscale représentait entre 36 et 45 milliards d’euros en 2007, autant de ressources manquantes pour le financement des services publics et d’une véritable justice sociale. L’évasion et la concurrence fiscales affaiblissent notamment l’imposition des bénéfices des sociétés. Selon l’économiste Pierre Larrouturou, un budget européen financé par un impôt européen permettrait de dégager 18 milliards supplémentaires dans le budget français, c’est-à-dire le montant de sa contribution à l’UE. Il propose un impôt européen sur les bénéfices des sociétés, ainsi qu’une écotaxe et une taxe Tobin pour limiter la spéculation sur les transactions monétaires.

[^2]: Crise, la solution interdite, Pierre Larrouturou, Desclée de Brouwer, 2009.

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