Désobéir, disent-elles

Elles sont antipub, antinucléaire, anti-OGM, antiguerre… et ne se retrouvent plus dans les formes classiques de mobilisation. Un reportage de Lætitia Legrand.

Laetitia Legrand  • 14 mai 2009 abonné·es
Désobéir, disent-elles

« Contre l’agression publicitaire »

Gaëlle, 20 ans, étudiante

Étudiante en licence d’administration économique et sociale, cette jeune fille de 20 ans au petit gabarit estime aujourd’hui que « l’agression publicitaire est abusive ». Mais son combat contre l’injustice, Gaëlle a commencé à le mener il y a un an, en étant membre de l’association Icare, une organisation qui agit de manière globale en matière environnementale, sociale et de solidarité internationale. Certains de ses membres mènent en parallèle des actions de désobéissance civile. L’idée mûrit alors dans sa tête. Aujourd’hui, elle s’intéresse plus particulièrement aux actions antipub. « Je pense qu’il y a trop de publicités. Je veux agir contre ce phénomène. » Elle souhaite une publicité vraiment informative, démocratique d’accès, centrée sur toutes les activités humaines et non imposée au public. Elle a envie d’agir de manière forte. Gaëlle décide alors d’intégrer le collectif des Déboulonneurs. Sûre de ses convictions, elle le rejoint en mars, pour sa première action en tant que désobéissante.

Le rendez-vous était donné à la sortie d’un métro parisien. L’objectif de cette rencontre : dégrader en public, de manière assumée et non-violente, les panneaux publicitaires par barbouillage, c’est-à-dire par inscriptions à la peinture. « Des journalistes étaient là, nous avons ainsi pu exprimer notre point de vue et nos revendications auprès d’un large public. »
Après quelques barbouillages, les forces de l’ordre sont arrivées. Elles ont arrêté quelques désobéissants, qui se sont ensuite retrouvés en garde à vue pour quelques heures. Gaëlle ne se sentait pas prête à affronter les CRS, aussi a-t-elle mené sa première action en tant que simple soutien aux activistes. Mais elle reste déterminée et combative : aujourd’hui, elle est prête à suivre toutes les actions que le collectif lui proposera, en vraie désobéissante.

Refuser, c’est se respecter

Claire, 71 ans, retraitée

Quand Claire ne s’occupe pas de ses six petits-enfants, elle désobéit. Pour cette femme de 71 ans, « on ne doit pas obéir à une chose qui n’est pas bonne » . Dans sa jeunesse, après avoir beaucoup fait l’école buissonnière, elle choisit de suivre des études sur les métiers du livre et, depuis, elle « essaye d’être une citoyenne modèle ».
Aujourd’hui, ce qui l’énerve le plus, ce sont les personnes qui parlent bien mais n’agissent pas, « qui se renferment sur elles-mêmes, qui ne partagent pas ». L’impression qu’elle a d’être face à un aveuglement général lui donne envie de passer un message : un autre monde est possible. Alors elle intègre divers collectifs de désobéissants. Au sein d’un groupe, « je me sens plus forte et surtout moins seule ».

Ce qu’aime Claire, dans la désobéissance civile, c’est qu’à chaque fois elle se rend compte à quel point « c’est simple et libérateur de désobéir » . Elle réalise qu’avant, lorsqu’on lui imposait quelque chose, elle obéissait alors qu’elle était capable de refuser. Aujourd’hui, c’est en refusant qu’elle se respecte. « J’ai obéi jusque-là comme une enfant qui croit sans aller voir ! Avec la désobéissance civile, je dis NON et le ciel ne me tombe pas sur la tête ! » À entendre sa douce voix on ne pourrait imaginer que cette grand-mère est une désobéissante chevronnée. Et pourtant, depuis qu’elle est à la retraite, elle participe à autant d’actions qu’il lui est possible. Mais elle choisit, avant tout, celles qui lui semblent justes, honnêtes, républicaines et dans lesquelles elle ne trouve aucun profit personnel.

« La dérision est une arme très intéressante »

Isabelle,
70 ans, retraitée
et mère de deux fils

Politis : Qu’est ce qui vous
a conduite à participer à
des actions de désobéissance civile ?

Isabelle : Depuis que j’ai 18 ans, j’ai toujours été très attirée par la non-violence. Mais il m’était difficile d’être militante lorsque j’avais un emploi. Cela demande beaucoup de temps d’être activiste. J’étais éducatrice spécialisée, je travaillais dans le placement familial. Dans cette structure, on employait beaucoup de femmes maghrébines. C’était une façon de les aider à s’intégrer dans le système français car elles avaient du mal à trouver un emploi. C’était doublement riche car nous avions ainsi une ouverture sur leur culture à elles.
Je suis à Attac depuis 1998, date de sa création. Je fais beaucoup de théâtre de rue avec cette organisation, mais je trouve qu’elle ne touche qu’une frange limitée de la population. Son discours est trop complexe pour être accessible à tous. Pour moi, la désobéissance civile, c’est exactement l’inverse. Depuis que je suis à la retraite, j’ai plus de temps et je participe plus à des actions directes non-violentes car je les trouve intuitives et vivantes.

Racontez-nous l’une
des actions auxquelles vous avez participé.

Avec des membres d’Attac, nous collions des tracts sur des affiches publicitaires dans le métro. Au fil du temps, je me suis retrouvée seule à coller les tracts. Un jour, des policiers sont arrivés. À mon âge, je ne me sentais pas de courir pour échapper aux forces de l’ordre, je n’avais pas envie de me faire mal. Ils m’ont alors arrêtée. Avec l’un des policiers, nous avons engagé une discussion sur mes agissements. Quand on s’est quittés, il m’a demandé un tract en souvenir !
Aujourd’hui, je préfère effectuer des actions avec des collectifs tels que Sortir du nucléaire ou la Brigade activiste des clowns (BAC). Ils sont plus au fait des limites de leurs droits, ils agissent avec plus de prudence.

Comment choisissez-vous
les actions auxquelles vous participez ?

Je me sens concernée par beaucoup de causes : la justice, les questions d’identité, les sans-papiers… Par contre, je manifeste rarement pour le féminisme car je ne me retrouve pas dans ses valeurs. Je suis plus attirée par la BAC, qui est dans l’extrême non-violence. Ainsi, les « clowns » ne se confrontent pas physiquement avec les CRS, et la dérision me paraît une arme très intéressante. En fait, je cible les actions auxquelles je participe pour ne pas me disperser ni perdre ma motivation.

« La désobéissance civile est
la seule alternative efficace »

Annouk, 27 ans, médiatrice
auprès d’enfants

Politis : Qu’est ce qui, dans votre parcours, vous a conduite à participer à des actions de désobéissance civile ?

Annouk : Après avoir suivi des études dans une école d’art, j’ai obtenu une licence en histoire des sciences politiques, et je suis aujourd’hui médiatrice du livre. En 2007 et en 2008, avec des membres de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP), nous avons monté un groupe de travail afin de créer un jeu pour sensibiliser les enfants à la publicité. Lors d’une réunion avec ce groupe, j’ai rencontré un désobéissant. Le désir de passer à un stade supérieur dans mon mode d’action a fait son chemin en moi.
C’est ainsi qu’en février 2009, j’ai participé à un stage de formation à la désobéissance
civile, organisé par
le collectif des
Désobéissants.
Ce stage m’a
permis de
confirmer
que je
pensais sur les modes d’actions à mener. Ce que j’y ai apprécié, c’est la large place donnée à la réflexion personnelle. Pour moi, la désobéissance civile est la seule alternative efficace.

Racontez-nous l’une
des actions auxquelles vous avez participé.

Le contre-sommet de l’Otan, avec les Désobéissants. Pour moi, l’essentiel était de participer à une action de blocage non-violente chargée de sens et stratégiquement gênante. En nous ralliant au collectif Block Nato, nous voulions bloquer certaines routes menant aux locaux où avaient lieux les réunions relatives au sommet pour perturber son déroulement.
Le plus impressionnant a été de me retrouver face aux forces de l’ordre, que je trouvais en surnombre et surarmées, alors que j’étais à découvert, sans masque ni arme. Le fait de me sentir vulnérable physiquement m’a très fortement impressionnée. Ma détermination à tenir sur ce blocage, alors que les CRS tentaient de nous dégager, résidait dans ma conviction de la légitimité symbolique de l’action, la présence de témoins qui nous protégeaient de la violence éventuelle des forces de l’ordre, et notre solidarité.

Quels sont vos critères
de choix pour les actions
que vous menez ?

Il est très important pour moi de bien connaître les différents enjeux de l’action que l’on peut me proposer ou que je pourrais initier, pour être sûre d’être bien en adéquation avec ses objectifs.

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