Elles voyagent en solidaires

Nadia et Johanne sont parties en mission via l’association Échanges et Partenariats. Elles racontent le travail qu’elles ont engagé au Maroc et aux Pays-Bas pour aider les migrants à faire valoir leurs droits.

Pauline Graulle  • 28 mai 2009 abonné·es
Elles voyagent en solidaires

Et si la mondialisation était solidaire, engagée, responsable ? C’est le projet que défend Échanges et Partenariats, une association qui facilite la mise en œuvre de missions de volontariat. Depuis six ans, elle coordonne avec des organisations partenaires des séjours à l’étranger de jeunes, souvent très diplômés, qui ont à cœur de porter leur engagement hors de leurs frontières. Puis de restituer leurs savoirs et savoir-faire au travers de photos, de vidéos, de carnets de route ou d’études, une fois revenus en France ou repartis pour d’autres missions. En 2008-2009, dix jeunes gens de la 9e promotion du programme d’Échanges et Partenariats ont sillonné la planète. Pendant cinq mois, ils ont travaillé au sein d’associations en Palestine, en Inde, en Espagne ou en Haïti. Ils ont planché sur les conditions de détention, sur l’accès à la culture, sur les médias alternatifs, sur les droits des migrants…

Nadia vient de rentrer à Paris. Et déjà elle n’a qu’une envie : reprendre le large. Cette Franco-Marocaine de 25 ans a fait sa mission de volontariat au Gadem  Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants. . Une association marocaine d’aide juridique aux migrants dont elle est l’un des dix membres fondateurs, et qui travaille à développer l’accompagnement juridique des Subsahariens qui transitent par le Maroc pour rejoindre l’Europe. « J’ai la double nationalité, je suis donc libre de circuler entre la France et le Maroc , explique cette bachelière du lycée français de Rabat, qui a ensuite intégré un master de coopération internationale à Montpellier. Mais tout le monde n’a pas cette chance… Si je ne les ai pas mal vécues, ces problématiques d’immigration m’interpellent personnellement. J’ai toujours eu une activité militante : au Secours catholique, à l’Armée du salut ou en centre d’hébergement et de réinsertion sociale… J’ai aussi écrit un mémoire de recherche sur la discrimination des Marocains en France.

Mais il n’y a pas qu’en France que les immigrés ont la vie dure. Au Maroc, les Subsahariens débarqués du Congo, du Sénégal ou de Mauritanie subissent humiliations et violences. Au mieux abandonnés, au pire traqués par les autorités, « les gens qui passent illégalement la frontière marocaine sont considérés comme des hors-la-loi, sans aucun accès à leurs droits », souligne Nadia. Qu’importe si le Maroc est signataire des conventions internationales sur l’accueil des étrangers et les droits de l’homme. Les arrestations au faciès sont monnaie courante. Tout comme les refoulements sauvages, les rafles, les peines d’emprisonnement, les demandes d’asile qui restent lettres mortes… La société marocaine continue néanmoins de fermer les yeux sur le sort réservé à ces migrants : « Il y a beaucoup de racisme envers les Noirs. Beaucoup les soupçonnent d’être des voleurs, des trafiquants… Tout le monde leur demande : “Alors, tu veux harrag [^2], c’est ça ?” » , raconte Nadia.
Il y a donc encore fort à faire pour sensibiliser la population aux drames qui se déroulent sur le territoire marocain. Notamment le monde judiciaire, pour qui la question migratoire est loin d’être une priorité. « En amont, l’action du Gadem et d’autres associations locales calme un peu l’ardeur des autorités, estime Nadia. Et puis, si la loi marocaine est plus rigide qu’en France, il n’y a pas de jurisprudence, ce qui nous donne plus de latitude pour faire bouger les choses. Certains jugements traînent ou n’aboutissent pas… Mais on se sert de ces documents comme outil de travail pour faire du plaidoyer. La situation avance malgré tout. » Même lentement.

Autre décor, mêmes problématiques. Johanne, 31 ans, a choisi d’aller voir de plus près le sort des étrangers victimes de traite et d’exploitation dans l’un des treize centres de rétention des Pays-Bas. « J’ai commencé à m’intéresser aux formes contemporaines d’exploitation il y a dix ans, après avoir vu un documentaire sur le sujet. Le flou juridique entourant cette question m’avait intriguée » , raconte-t-elle. Partie elle aussi avec le soutien d’Échanges et Partenariats, cette juriste qui a choisi de faire du droit « pour changer les choses, pas pour faire carrière ! » , a mené en Hollande une étude comparée à la demande du Gisti [^3] : «  Il voulait vérifier l’hypothèse selon laquelle la politique migratoire appliquée dans l’Union européenne entrave, au lieu de garantir, la protection des étrangers contre la traite et l’exploitation » , explique-t-elle. Hypothèse validée.

Johanne passe cinq moins au sein du BLinN [^4], un programme mis en place par les ONG Humanitas et Oxfam Novib. Outre un décorticage minutieux de la loi hollandaise, elle recueille le témoignage de plusieurs étrangers qui, bien que forcés à exercer une activité – notamment sexuelle –, se sont retrouvés entre les murs du centre de détention de Zeist, un no man’s land en grande banlieue d’Amsterdam. Sur la base de ces récits, BLinN mobilise alors les autorités. Johanne constate qu’aux Pays-Bas, pays qui applique pourtant à la lettre les directives européennes visant à lutter contre la traite et l’exploitation, les étrangers ne rencontrent pas moins de difficultés pour accéder au droit et à la justice qu’en France. « La présence d’étrangers victimes de ce phénomène en centre de détention en est un exemple flagrant, souligne Johanne. J’en suis arrivée à la conclusion que l’inefficacité de la protection des étrangers contre ce phénomène criminel s’expliquait essentiellement par l’exclusion des étrangers du droit commun, pour ne pas dire leur criminalisation. C’est donc l’ensemble de ces politiques qui est à revoir. Pas seulement celle relative à la traite et à l’exploitation, mais aussi celle portant sur l’immigration. »

Comme pour la plupart des « anciens » d’Échanges et Partenariats, la vie professionnelle qui attend Nadia et Johanne sera placée sous le signe de l’engagement. Johanne compte reprendre sa thèse sur la traite et l’exploitation. Quant à Nadia, elle repart travailler avec la Cimade en Afrique subsaharienne avant de retourner au Gadem en septembre. « Grâce à Échanges et Partages, s’est créé un réseau de jeunes qui travaillent aujourd’hui dans le monde entier, explique Nadia. C’est un peu comme une grande famille. » Une famille solidaire, engagée, responsable. Qui façonnera, qui sait, le monde de demain.

[^2]: « Émigrer clandestinement ».

[^3]: Groupe d’information et de soutien des immigrés.

[^4]: Bonded Labour in the Nederlands.

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