« Le planning ? Qu’est-ce que c’est ? »

Le planning familial est menacé de coupes budgétaires qui compromettraient gravement son action vis-à-vis des femmes. Reportage en Seine-Saint-Denis et retour sur les missions d’une institution parfois mal connue.

Mathilde Azerot  • 21 mai 2009 abonné·es
« Le planning ? Qu’est-ce que c’est ? »

«Le planning familial ? Non, je ne sais pas où c’est… » , dit en fronçant les sourcils un homme d’une soixantaine d’années apparemment familier du quartier bouillonnant de la Basilique à Saint-Denis (93). Puis, curieux : « Qu’est-ce que c’est ? » Comme aucun des autres passants interrogés n’apporte de réponse, on finit par aller se renseigner au centre d’échographie à deux pas, où l’on nous indique enfin le chemin. L’endroit est discret, voire planqué, situé au rez-de-chaussée d’un immeuble. « Le bouche-à-oreille ­semble marcher. Quand elles en ont besoin, les femmes savent nous trouver » , sourit Valérie Boblet, 47 ans, conseillère conjugale au planning depuis l’âge de 25 ans. De fait, chaque année, le planning de Saint-Denis (membre du Mouvement français pour le planning familial) accueille, oriente, conseille sur des questions de contraception, d’avortement et de violences conjugales quelque 20 000 à 30 000 femmes.
Avant de pénétrer dans la salle d’attente, on passe dans un sas où traînent des jeux d’enfants et dont les murs sont couverts de livres. S’y côtoient l’Histoire des femmes de Michèle Perrot et Georges Duby, les ouvrages de Françoise Dolto, et encore l’Abolition de Robert Badinter et quelques numéros des Temps modernes. Pas de doute sur l’identité du lieu : il respire le militantisme. «  Le planning associatif a été à l’avant-garde de l’avant-garde » , rappelle d’emblée Mélanie Mermoz, conseillère conjugale, retraçant l’histoire de l’un des symboles de la lutte pour la libération des femmes, créé en 1956 et à l’origine baptisé La Maternité heureuse. Ici travaillent en alternance trois médecins et une dizaine de conseillères. Des femmes, uniquement.

À Saint-Denis, les femmes peuvent venir au planning pour avorter par la méthode médicamenteuse (en dessous de six semaines de grossesse). Le centre est le seul des 70 associations départementales du Mouvement à pouvoir le faire. Toutes les patientes sont convoquées à 9 heures le mercredi pour la première phase : l’absorption d’un médicament, puis, 48 heures plus tard, d’un second, pris à domicile, où elles « expulseront ». La loi autorise l’interruption volontaire de grossesse (IVG) nommée « en ville » depuis 2001. Avant d’être reçues par le médecin, les femmes sont accueillies dans la spacieuse salle d’attente aux larges canapés, où les attendent café et thé, ainsi que deux conseillères conjugales. Ce mercredi, elles sont sept, dont une qui a avorté quinze jours auparavant, venue faire sa visite de contrôle. Volubile, elle raconte avec aisance l’expérience que les autres s’apprêtent à vivre. Peu à peu, les langues se délient et se laissent aller aux questions. On parle de contraception, de stérilité, d’avenir, des hommes. La discussion est finement guidée par les conseillères, qui ne laissent jamais le silence s’installer et manquent rarement une occasion de rebondir sur la prévention. La salle se vide. Reste une jeune femme à l’air inquiet. Elle n’a presque rien dit de la matinée. Elle a 27 ans. Valérie Boblet lui demande quel moyen de contraception elle envisage après l’IVG. Étonnamment, elle se confie sans ambages, la voix claire et assurée : vraisemblablement pas la pilule, car elle n’a jamais réussi à la prendre correctement. « Je faisais n’importe quoi, l’oubliais tout le temps. Je suis restée six ans avec quelqu’un et je ne suis jamais tombée enceinte. Je pensais être stérile. » La bonne nouvelle, c’est qu’elle ne l’est pas. La conversation glisse alors vers sa famille, tunisienne et « traditionnelle » . Elle raconte que ses deux grandes sœurs ont été mariées par la famille « à des hommes du village de là-bas », qu’elle a failli l’être, mais s’y est violemment opposée. Quand son tour viendra d’avoir des enfants, elle les élèvera « dans la communication, parce que c’est ce qui qu’il n’y a pas » dans sa famille.

Ces femmes sont venues seules, mais toutes avorteront avec à leur côté une proche, familiale ou amicale. Pas leur partenaire… Envoyées pour la plupart par la PMI ou leur généraliste, peu savaient ce qu’était le planning. Lequel semble une institution mal connue. « C’est peut-être vrai, mais il n’empêche qu’on a récolté 140 000 signatures pour la pétition ! Les gens se sont mobilisés », soulignent en chœur les conseillères réunies autour d’une tasse de thé, tandis que la journée s’achève. En effet, en janvier dernier, Brice Hortefeux, ministre de la Famille et de la Solidarité, annonçait une baisse de 42 % des subventions allouées aux Établissements d’information au conseil conjugal et familial. La mobilisation a été instantanée. Le ministre a – provisoirement – fait machine arrière et maintenu les budgets (environ 2,6 millions d’euros par an) jusqu’à fin 2011. Ce n’est donc que partie remise. Pour le planning de Saint-Denis, financé à hauteur de 15 % par l’État (le reste étant assuré par le conseil général), cela aurait représenté une carence de 70 000 euros ; «  On a calculé que cela équivaudrait à la suppression de deux postes à plein-temps » , souligne Valérie Boblet.

« Si les plannings du Mouvement venaient à disparaître, ce serait catastrophique pour les femmes, assure Nathalie Cherradou, sage-femme cadre au centre de planification familial de l’hôpital Ballanger, à Aulnay-sous-Bois. Ils jouent un grand rôle dans l’information, ils orientent les femmes vers nous, et puis ils aident celles qui ont dépassé les délais à aller à l’étranger. » Changement de décor : entre la Francilienne et les tours des cités avoisinantes, avec pour horizon le centre commercial, l’hôpital offre un visage fatigué avec ses bâtiments usés. Heureux cependant est le personnel du service d’orthogénie, qui vient d’hériter d’un planning flambant neuf au matériel dernier cri, inauguré en novembre dernier.
La déco est pimpante. C’est la conseillère conjugale, Sandra Pancrazi, qui s’en est occupée. Pour elle, la journée commence rudement : une femme s’est présentée avec sa fille de 7 ans, violée par le fils de son compagnon, âgé de 14 ans. « Le mois dernier a été affreux. J’ai témoigné pour une de mes patientes, qui a vécu quatorze ans de violence conjugale. Elle a fini par tuer son mari en le poignardant. Elle a pris cinq ans de prison. » Le travail est le même, mais d’emblée la différence est affichée : à l’hôpital, le planning est d’abord une histoire de service public et de devoir médical. Pas de féminisme.
« Notre planning commence à avoir de la notoriété » , se réjouit Nathalie Cherradou. Le nombre d’avortements ? Elle sort un petit carnet de la poche de sa blouse et énumère : « 735 en 2006, 998 en 2007 et 1126 pour 2008. » « Mais, s’empresse-t-elle de préciser, c’est parce qu’on a ouvert plus de consultations que le nombre d’IVG a augmenté. Il n’y en a pas plus. On répond mieux à la demande, c’est tout. » Les hommes se font plus nombreux ici qu’au planning du Mouvement, venus en accompagnateurs. La salle d’attente se remplit par vagues. Le docteur Bruno Consille, gynécologue-accoucheur libéral qui consulte deux demi-journées par semaine au planning, ne chôme pas. « Encore aujourd’hui, il y a des services où les plannings sont un enfer, et personne n’y descend. L’avortement est le côté sombre de la médecine. » Quant à l’avenir ? Il secoue la tête. « Quand ma génération, celle de l’après-loi Veil, celle qui a été formée par ceux qui se sont battus, va partir à la retraite, ce sera dramatique. La jeune génération pense que l’IVG est un acquis, ce qui est faux. » Mais l’enjeu est plus vaste. «  Être au planning est aussi un combat contre le machisme, parce que derrière l’avortement, ce sont toujours les femmes qui trinquent » , dit-il, en appelant la prochaine patiente, et avant de conclure : *« En cela, travailler au planning est peut-être un peu féministe. »
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