Les tragédies modernes

La pièce de David Hare sur George Bush
et Tony Blair
est-elle plus actuelle qu’« Horace »
de Corneille ?

Gilles Costaz  • 28 mai 2009 abonné·es

Le théâtre français répugne à porter sur la scène l’actualité toute chaude. Les auteurs anglais n’hésitent pas à le faire, à commencer par David Hare, qui a représenté en tragédie la campagne du Labour contre Margaret Thatcher. Avec Stuff Happens (littéralement « La matière arrive » ; apparemment, le traducteur a calé devant un titre aussi malaisé à transposer), que Bruno Freyssinet et William Nadylam (ce dernier en est aussi le traducteur) ­mettent en scène à Nanterre-Amandiers, il décrit les années Bush, la politique américaine avant et après le 11 Septembre, la décision de faire la guerre en Irak…

En mêlant des paroles authentiques et des dialogues imaginaires, Hare démonte le mécanisme mis en place par Bush pour faire croire à l’existence d’armes de destruction massive dans le stock militaire irakien et le jeu changeant de Tony Blair, qui finira par accepter la participation de l’armée anglaise au côté de la force américaine. C’est ainsi qu’on voit sur scène des personnages que les médias nous ont rendus tristement familiers : Bush et Blair, bien sûr, mais aussi Dick Cheney, Condoleezza Rice, Donald Rumsfeld et même Dominique de Villepin (joué de façon savoureuse par Philippe Duclos).

La pièce avance à grands traits et au scalpel. Malheureusement, la mise en scène hésite à trouver la forme adéquate. A priori, la solution trouvée par Freyssinet et Nadylam est rigoureuse : tout se passe dans un vaste espace blanc où chaque individu, en costume sombre ou en robe stricte, tournoie avec les seules armes de ses arguments. Mais le style devrait être plus sec ou, au contraire, plus ironique. Vincent Winterhalter joue finement un Bush modérément cervelé, Arnaud Décarsin dessine subtilement la partition d’un Tony Blair qui se prend les pieds dans son habileté. Greg Germain, Alain Rimoux, Daniel Berlioux, Aïssatou Diop tirent leur épingle de ce jeu difficile qui n’obéit pas encore à un sens plus aigu et global de la pièce.

Nous parlons peut-être mieux du monde en passant par le filtre des tragédies classiques. Naidra Ayadi en donne la preuve avec sa mise en scène d’ Horace de Corneille, à la Cartoucherie, dont elle situe l’action dans un monde à la fois contemporain et intemporel. Voici, dès l’ouverture, le Mur des lamentations où l’on vient apporter ses prières. Voilà le jeune Horace, qui est noir, hirsute, aveuglément attaché à son meurtrier sens de l’honneur. Toute la soirée, assez brève, suggère maints rapprochements avec les conflits religieux et politiques du Proche-Orient et de l’Afrique, mais sans jamais les désigner. C’est juste une façon de sous-entendre l’actualité d’un texte ancien et de lui donner une vérité multiethnique. Les interprètes, Jean-Christophe Folly, Patrick Messe, Naidra Ayadi, Gina Ndjemba et Paul Nguyen, jouent à bout portant, très quotidiens et immédiats. Naidra Ayadi, dont c’est la première mise en scène, a un sens de l’évidence théâtrale qu’on ne trouve pas toujours chez des artistes plus aguerris.

Culture
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