L’éternel fugueur

Retour à Bernard-Marie Koltès, mort il y a vingt ans, avec une nouvelle mise en scène
de « Roberto Zucco »
et la publication
de ses « Lettres ».

Gilles Costaz  • 7 mai 2009 abonné·es
L’éternel fugueur
© Lettres, Bernard-Marie Koltès, Minuit, 512 p., 19 euros. Nickel Stuff, Bernard-Marie Koltès, Minuit, 128 p., 11,50 euros. Roberto Zucco, Comédie de Valence, 04 75 78 41 70. Reprise à Valence, 15-25 octobre. Puis Metz, 24 octobre ; Genève, 28 octobre-7 novembre ; Montpellier, 24-28 novembre.

Bernard-Marie Koltès est mort il y a vingt ans. Il n’avait pas 40 ans. Fauché par le sida alors qu’il voulait revenir au roman en délaissant le théâtre, qui l’avait rendu célèbre dans l’Europe entière. Ses grandes pièces avaient toutes été jouées et publiées. Mais un certain nombre d’inédits sont parus depuis : des pièces de jeunesse, des récits. Surtout, les metteurs en scène ne cessent de soumettre ses œuvres à un autre regard. Nous sommes, face à lui, dans l’après-Chéreau. Ainsi, à la Comédie de Valence, Christophe Perton vient-il à la fois d’organiser une série d’événements sur l’auteur et de mettre en scène Roberto Zucco.
Roberto Zucco vu par Perton adoucit le rythme de film noir qu’on donne généralement à cette pièce ultime. C’est l’histoire d’un tueur, d’un prisonnier qui s’évade et, traqué, défie la société par ses propos ravageurs et la mise à mort d’innocents. Les scènes sont d’un grand éclat sombre. Perton joue ce jeu mais le situe dans un théâtre : fauteuils rouges sur la scène, cadre de scène doré. C’est le théâtre qui nous raconte Zucco, et non pas la ville, cet enfer urbain dont il est l’incarnation. Théâtre et music-hall (music-hall sans guère de frontières avec le bordel), tel est le style de cette représentation songeuse qui se cherche un peu puis trouve sa force dansée.

Olivier Werner est un Zucco puissant dont on aime le jeu vif et libératoire. Avec lui, Christine Gagnieux, Éric Caruso, Christiane Cohendy, Franziska Kahl, Pierre Baillot, Yves Barbaut, Agathe Le Bourdonnec composent une galerie de noctambules de haut vol.
Du côté de l’édition, les inédits continuent, mais ce sont vraisemblablement les derniers. Minuit publie d’abord une curiosité qui a sa séduction, Nickel Stuff, « scénario pour le cinéma » que Koltès écrivit en 1984. Fou de cinéma, l’écrivain composa quelques scénarios, qu’il n’a pas gardés, sauf celui-là, qu’il voulait réaliser en confiant les deux rôles du commerçant menacé et de l’employé qui va le tuer à Robert De Niro et à John Travolta. Le projet, qui était celui d’un film en noir et blanc à tourner à Londres, on s’en doute, n’aboutit pas.

Autre publication : des Lettres. Un gros volume de missives que Koltès écrivit tout au long de sa vie, publiées sans les réponses, car il ne les conservait pas. C’est auprès de ses amis qu’a été faite la collection de ces textes. Koltès aurait-il été d’accord sur la mise au grand jour d’une littérature purement privée ? Son frère, François Koltès, le justifie ainsi dans la préface : «  Koltès ne tenait pas à ce qu’on connaisse autre chose de lui que ce qu’il avait écrit… [Ces lettres] sont publiées aujourd’hui parce qu’il a semblé important, vingt ans après sa disparition, qu’il apporte lui-même une lumière sur son œuvre. » Le préfacier dit aussi : « Il n’y a pas de biographie plus juste que celle qu’on peut lire dans ce livre. »

Il y a là assez peu, tout compte fait, de documents liés à la vie théâtrale de Koltès. L’ensemble n’en est pas moins passionnant, bien que les ­lettres d’adolescent en colo catholique auraient pu être écartées ! Mais c’est le principe des biographies auquel se réfère François Koltès, bien que celle-ci soit là livrée en fragments, en creux et en pointillé.

Figurent très peu de lettres à des personnalités du théâtre. Quelques-unes quand même, dont certaines qui permettent de saluer la figure d’Hubert Gignoux, directeur du Centre dramatique de l’Est, qui, le premier, crut en Koltès. La révélation de ce volume, c’est l’éclairage sur ses débuts. Koltès n’est pas né de rien comme on a pu le croire quand Paris le découvrit avec son premier grand texte, la Nuit juste avant la forêt , et la première mise en scène d’une ses pièces par Chéreau, Combat de nègre et de chiens. Il a été assez vite repéré et soutenu. Mais le portrait qu’il trace malgré lui est celui d’un éternel fugueur, échappant à toute personne et à tout système qui voudrait l’enfermer. Une sorte de Kerouac doux, toujours sur la route, pensant constamment à sa mère, se plaçant avec plaisir du côté des Noirs et des rebelles, hostile à la culture blanche et européenne. Un météore qui se moquait de son étoile.

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