Maison en ruine

Dans « Rose Fountain Motel », Jabbour Douaihy raconte la chute d’une famille de la bourgeoisie chrétienne au Liban, avec humour et gravité.

Christophe Kantcheff  • 7 mai 2009 abonné·es

Seules les familles déchues sont intéressantes. Les Baz, famille de la bourgeoisie chrétienne installée dans le bourg d’Ayn Wardeh, sur les hauteurs de Beyrouth, ont eu leur heure d’opulence, du temps de feu le patriarche Francis, qui a failli être élu député. Mais, à l’image d’un pays détruit par la guerre civile, en ce début des années 1990, la vieille Nohad n’a plus qu’une demi-heure de lucidité par jour. Elle a été placée en maison de retraite par les autres membres de la famille, qui ne forment plus un clan soudé mais une réunion d’individus liés par nécessité.
La plupart ont quitté la maison d’Ayn Wardeh, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même. Seul, le fils cadet, Réda, vit enfermé au premier étage, tandis que les Mani’, des Bédouins, continuent à vivre dans la cave où ils se sont installés, par la grâce de Francis al-Baz, depuis de nombreuses années. Ce sont eux, par leur présence, leur exubérance, qui donnent encore un peu d’âme à la maison. Ils prennent d’ailleurs de plus en plus d’importance dans le récit, et introduiront, involontairement, un dernier élément perturbateur, en la personne d’une très séduisante cousine.

C’est à la palette du peintre qu’on reconnaît l’écrivain. Autrement dit, à ses talents de portraitiste, de coloriste, de mise en place des volumes et des espaces, et aux effets de mouvements qu’ont les personnages les uns par rapport aux autres. Le romancier libanais Jabbour Douaihy possède une belle palette. Son pari de raconter l’histoire des Baz à travers celle de leur maison, avec une ambition de chronique sociale, risquait l’impression de déjà-lu tant il a été déjà tenté. On a encore en mémoire, par exemple, le roman de l’Égyptien Alaa El Aswani, l’Immeuble Yacoubian (chez Actes Sud également). Rose Fountain Motel lui est littérairement supérieur.

Jabbour Douaihy signe ici un récit fourmillant de vie et de nuances, un récit à la Renoir (le cinéaste) où chacun des personnages a ses raisons, celles de son milieu social, de ses antécédents familiaux et de son caractère. L’auteur joue avec la chronologie, juxtaposant des chapitres dont l’action se déroule avant, pendant ou après la guerre, pour mieux faire ressentir les contrastes, le sentiment de perte et une forte impression d’insouciance, qui a aussi ses aspects comiques, mais dont les conséquences peuvent être fâcheuses. « Passé l’effet de nouveauté, la guerre perdit très vite de son emprise sur les esprits. On n’en attendait plus grand-chose et chacun dans la maison s’en désintéressa pour vaquer à ses occupations. » La « maison des Baz » ne s’en relèvera pas.

Culture
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